le Mercredi 30 avril 2025
le Vendredi 11 juillet 2003 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:35 Économie

Le voyage de ma vie (suite)

Le voyage de ma vie (suite)
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Je vous ai laissés alors que nous arrivions à la chute Virginia. Nous ne la voyons pas, mais nous entendons son bruit assourdissant et nous voyons l’écume qu’elle dégage. Après un accostage plutôt facile, nous descendons notre équipement et nous nous trouvons un terrain afin de nous installer pour la nuit. Il y a quelques personnes aux chutes qui se préparent à leur grand départ prévu pour le lendemain. Nous profitons du reste de la journée pour monter notre tente minuscule, pour explorer les lieux et pour aller se laver. Si j’y vais avec parcimonie et me lave du bout d’une débarbouillette, il n’en va pas ainsi pour mon compagnon d’aventure qui plonge du bout du quai des avions dans des eaux si glaciales qu’il en ressort aussitôt. En effet, ces eaux sont plus près de la température de la glace que de la température d’une bonne baignoire bien confortable, comme vous pouvez bien l’imaginer. Ne tirent-elles pas leur source de glaciers et de hautes montagnes. Donc, bien vite Jean-Charles se savonne et hop, saute une deuxième fois dans l’eau. À peine ai-je mis le bout de mes orteils dans l’eau et la baignade est bien terminée pour moi. Bien revigorés (oui, oui, moi aussi, juste de le regarder), nous préparons un repas bien mérité et hop!, au lit, non sans avoir terminé la petite bouteille de tequila. Pourquoi traîner du bagage inutile. Demain, une grosse journée nous attend. Tout poids inutile ne fera que nous retarder. Les jours sont encore très longs et c’est dans une pénombre réparatrice que nous nous endormons au son du grondement lointain des chutes, en rêvant d’une descente des plus réussies.

Le lendemain, pas le temps de s’apitoyer sur notre sort et de regretter d’avoir vidé cette bouteille. Le mal est fait. Après avoir vitement avalé notre petit déjeuner, nous examinons la situation et nous décidons de faire un voyage de paresseux. Au lieu de faire deux ou trois portages pour transporter nos effets, nous décidons de ne pas dégonfler le Zodiac et de mettre le bagage dedans et de le transporter ainsi. Donc, les sacs à dos… dans le dos et le reste du bagage dans le Zodiac et nous attaquons un long périple. Il y a un trottoir de bois. Les choses ne s’annoncent pas si mal, mais le bagage est lourd et nous devons nous arrêter tous les cinq ou dix minutes, poser le zodiac, reprendre notre souffle et continuer ainsi jusqu’à bon port. Les derniers mètres sont particulièrement périlleux, car la descente est plutôt abrupte. La vue sur les chutes est tout simplement à couper le souffle, surtout que nous l’avons déjà assez amoché, le souffle. En plus, à cette époque mémorable, j’étais encore fumeuse, tout comme mon compagnon d’ailleurs. Pas besoin de m’étendre sur le sujet, je crois que vous pigez.

Nous sommes vraiment contents de déposer tout ça sur le bord d’une rivière déchaînée. Vous pensez bien qu’avec tout l’eau qui tombe de ces chutes et un rétrécissement de la rivière qui passe dans un canyon escarpé, les eaux coulent à une vitesse vertigineuse. C’est là que je comprends dans son sens profond l’expression White Waters pour dire rapides. Oui, les eaux sont blanches, vraiment blanches. Quelques personnes se préparent à se lancer dans les eaux tumultueuses. Un guide leur explique qu’elles devront ramer en ferry pour aller de l’autre côté de la rivière d’où elles pourront se laisser ensuite entraîner par le courant, tout en essayant de contrôler leur embarcation. Les canots sont recouverts d’une toile, genre de jupe qui vise à empêcher le canot de se remplir d’eau à la première vague venue. Impossible de descendre dans cela. Donc, une dizaine de personnes, à raison de deux par canots, s’apprêtent à s’élancer. Nous sommes sur la rive et nous contemplons la scène. Ma peur grandit à mesure que je les vois s’élancer, ramer pour aller de l’autre côté et hop! se laisser aller dans les grandes vagues qui les happent au premier tournant. Ils disparaissent rapidement de notre vue. Un après l’autre, les canots disparaissent. C’est maintenant notre tour. Notre Zodiac me semble bien sécuritaire en comparaison des fragiles canots recouverts de leur jupette. Nos effets sont solidement attachés à l’embarcation. Nous sommes bien vêtus, recouverts d’une veste chaude et imperméable sur laquelle nous avons enfilé une veste de sauvetage bien sanglée. Ma crainte empire. J’ai peur. Je donnerais tout ce que j’ai pour me retrouver à des kilomètres de là et pourtant, je ne pourrais pas repartir par un autre moyen que par la rivière. La rivière m’attire et me repousse en même temps. Le moment de vérité approche. Je prends une grande respiration, j’embarque, on pousse le Zodiac et c’est parti mon kiki. Nous devons aussi ramer pour partir de l’autre côté de la rivière. L’opération s’avère ardue, car un Zodiac est plus difficile à manier qu’un canot. Par contre, un Zodiac, ça verse moins qu’un canot. Piètre consolation. Ouh! Nous sentons la force du courant qui veut nous emporter, mais nous ramons et ramons, jusqu’à l’autre côté et retenant notre souffle, nous nous laissons emporter. La sensation est incomparable. Un dernier coup d’oeil au paysage que nous perdons bien vite de vue, trop occupés que nous sommes à tenter de diriger notre embarcation qui s’emballe et nous précipite dans une grande vague blanche qui nous engloutit. Nous sommes trempés des pieds à la tête et nous continuons d’avancer à un train d’enfer. Nous croyions aller dompter la Nahanni. Quelle prétention! La Nahanni nous dompte dès le premier tournant.

Et je vous laisse là-dessus! La suite et la fin de l’aventure au prochain tournant, que dis-je? Au prochain numéro! En attendant, bon été et surtout, bonne randonnée en canot! [email protected]