le Lundi 29 Décembre 2025
le Lundi 29 Décembre 2025 8:28 Arctique

Russie, Chine, Etats-Unis… le Canada doit-il se méfier ?

Pour Mathieu Landriault, professeur associé à l’École nationale d’administration publique et directeur de l’Observatoire de la politique et la sécurité de l’Arctique, « les menaces hybrides (comme des campagnes de désinformation, des cyberattaques) sont présentes, mais dire que la Russie va débarquer demain matin pour envahir l’Arctique canadien et l’occuper, ça, c’est un énorme saut conceptuel qu’il faut éviter de faire ». — iStock/Barks_japan
Pour Mathieu Landriault, professeur associé à l’École nationale d’administration publique et directeur de l’Observatoire de la politique et la sécurité de l’Arctique, « les menaces hybrides (comme des campagnes de désinformation, des cyberattaques) sont présentes, mais dire que la Russie va débarquer demain matin pour envahir l’Arctique canadien et l’occuper, ça, c’est un énorme saut conceptuel qu’il faut éviter de faire ».
iStock/Barks_japan

La Russie, la Chine ou les États-Unis, lequel de ces trois pays menace-t-il le plus la souveraineté canadienne en Arctique ? Quatre experts font le point sur cette question au cœur de l’actualité.

Russie, Chine, Etats-Unis… le Canada doit-il se méfier ?
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Dans un article, paru le 17 novembre dernier sur le Réseau d’analyse stratégique et intitulé La souveraineté et la sécurité de l’Arctique canadien : de qui se méfier ?, les coauteurs Frédéric Lasserre, Mathieu Landriault, Pauline Pic et Stéphane Roussel font le point sur les réelles menaces que représentent la Russie et la Chine pour la souveraineté canadienne en Arctique. Plusieurs médias canadiens ont fait des amalgames en présentant ces deux pays comme des périls, et ces allégations ne sont pas justifiées selon les experts.

Mathieu Landriault, professeur associé à l’École nationale d’administration publique et directeur de l’Observatoire de la politique et la sécurité de l’Arctique, rappelle que, même si le sentiment d’insécurité est présent parmi la population canadienne, ce discours n’est pas nécessaire et repose sur des spéculations. 

« Ce type d’analyse n’aide en rien à contextualiser ces menaces, explique-t-il. Les menaces hybrides (comme des campagnes de désinformation, des cyberattaques) sont présentes, mais dire que la Russie va débarquer demain matin pour envahir l’Arctique canadien et l’occuper, ça, c’est un énorme saut conceptuel qu’il faut éviter de faire. »

La Russie représente-t-elle vraiment une menace ?

Une grande partie des investissements militaires russes dans l’Arctique portent avant tout sur la sécurisation de sa route maritime du Nord dans l’Arctique russe. Il y a donc une volonté de sécuriser les routes maritimes et de contrôler la région, plutôt que des ambitions d’invasion. 

La Russie a adopté une posture défensive, plutôt qu’offensive, et défend son bastion constitué par la mer de Barents, peut-on lire dans l’article.

Enfin, « il n’y a pas eu d’ouverture de nouvelle base militaire russe dans l’Arctique, excepté un bâtiment abritant un bataillon de 250 hommes près de la base aérienne de Nagurskoye, dans l’archipel de la Terre François Joseph. Ces réouvertures de bases anciennes modernisées ne constituent pas nécessairement un pas vers une attaque du Canada », pense le groupe d’experts. 

De plus, la Russie ne s’est pas retirée du Conseil de l’Arctique et n’a jamais contesté les revendications de plateaux continentaux étendus du Canada ou du Danemark dans l’océan Arctique. La coopération entre la Russie et les autres États arctiques s’est poursuivie après l’invasion de l’Ukraine en février 2022. Plus précisément à la conférence des parties de l’accord international pour la prévention d’activités non règlementées de pêche en haute mer dans le centre de l’océan Arctique. Cet accord a été signé le 3 octobre 2018 par le Canada, le Danemark, l’Union européenne, la Norvège, l’Islande, le Japon, la Corée du Sud, les États-Unis, la Chine et donc, la Russie.

Quelles sont les ambitions de la Chine ?

Du côté de la Chine, comment peut-on affirmer que des navires commerciaux chinois parcourront les eaux arctiques canadiennes sans en demander la permission, se demandent les experts. Le seul cas documenté d’un navire chinois ayant approché la côte arctique canadienne sans que sa visite ait été prévue est celui de la visite du brise-glace de recherche Xue Long à Tuktoyaktuk, en 1999. La demande d’autorisation de navigation pourtant envoyée en amont avait été perdue dans un dédale de la bureaucratie canadienne.

Nancy Teeple avait publié en 2010, pour le compte du ministère canadien de la Défense, une analyse des faits : « Il semble que l’arrivée inattendue du navire à Tuktoyaktuk ait été le résultat d’erreurs de communication entre les organismes canadiens, car des sources signalent que l’équipage avait informé l’ambassade du Canada à Beijing de son intention d’entrer dans les eaux canadiennes. »

Une bouée d’origine chinoise a bien été récupérée par les Forces armées canadiennes en février 2023, mais « le saut qualitatif entre la présence de bouées et l’établissement de structures sur la masse terrestre serait cependant très conséquent », estiment les experts. 

Se méfier des États-Unis

En novembre 2025, la stratégie nationale sur la sécurité des États-Unis était divulguée. Ce document de 29 pages exprime une vision du rôle et de la place des États-Unis dans le monde. Présentée comme une feuille de route, cette stratégie exacerbe la prééminence des États-Unis que le président Trump n’hésite pas à présenter comme la plus grande et la plus prospère de l’histoire humaine. 

« Dans les années à venir, nous continuerons à développer toutes les dimensions de notre puissance nationale et nous rendrons l’Amérique plus sure, plus riche, plus libre, plus grande et plus puissante que jamais », peut-on lire en introduction du document. 

M. Landriault pense qu’il faut accorder une certaine importance aux États-Unis, notamment à cause du langage employé par le gouvernement, durant le premier mandat de 2017 à 2021. Celui-ci laissait entendre la possibilité de faire des opérations de liberté de navigation dans les eaux de l’Arctique et dans les eaux du passage du Nord-Ouest.

« Si je regarde le parcours en ce moment du gouvernement Trump, bien souvent, il reprend ses mauvaises idées (du premier mandat), puis il les reprend d’une manière étendue », développe-t-il. 

Les déclarations tonitruantes du président Trump sur la possible annexion du Groenland et de l’assimilation du Canada pour en faire le 51ᵉ État avaient consterné les Canadiens. La publication de cette stratégie a ravivé les inquiétudes et n’a fait que confirmer la vision dominatrice des États-Unis. 

Sans jamais mentionner le Canada en tant qu’allié, le document indique dans un paragraphe sur l’hémisphère occidental que l’approche américaine vise à rétablir la prééminence dans les espaces géographiques stratégiques. Cela signifie une présence accrue de la Garde côtière et de la Marine pour contrôler les voies maritimes et les itinéraires de transit clé. Pour M. Landriault, cette section de la stratégie est la plus inquiétante, car elle résonne comme un avertissement. En effet, en annonçant leur volonté de défendre leurs intérêts dans l’ensemble de l’hémisphère occidental, le gouvernement des États-Unis semble considérer l’ensemble du continent nord-américain comme étant sous leur influence.  

« À mon avis, l’administration Trump considère le Groenland comme faisant partie de l’hémisphère occidental, donc des Amériques, estime le chercheur. Je pense aussi que pour le Canada, cela représente une inquiétude encore plus grande. Cette stratégie envoie le message de ne pas coopérer avec des pays à l’extérieur des Amériques d’une manière trop étroite. »

Ce procédé est abrasif et porte sur la confrontation. Les relations internationales y sont appréhendées dans une perspective de sphères d’influence, selon M. Landriault. « Ce document vient confirmer que les États-Unis ne voient pas le Canada comme un égal, mais comme un État subordonné. Tout le reste des Amériques est vu comme une région subordonnée à ses intérêts, et ça, côté canadien, c’est d’autant plus inquiétant », conclut-il.

Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des trois territoires canadiens : les journaux L’Aquilon, L’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.