Dix pour cent des Canadiens visitent annuellement la Floride, la majorité provenant du Québec, de l’Ontario et des provinces maritimes. En 2012 seulement, on comptait 3,7 millions de touristes canadiens et plus de 500 000 hivernants (snowbirds) dans le Sunshine State. Un million de ces touristes et 150 000 de ces hivernants canadiens sont de langue française. Serge Dupuis relate leur histoire dans Plus peur de l’hiver que du Diable.
L’auteur distingue quatre groupes de Canadiens français en Floride : les immigrants, leurs descendants, les touristes et les hivernants. Les trois premiers groupes restent peu attachés à leur culture et à leur langue d’origine, alors que les hivernants créent de véritables enclaves francophones sous le soleil floridien.
L’afflux de Canadiens français vers la Floride remonte à la colonisation agricole au xixe siècle. Puis il y a eu les vagues d’émigration économique durant les années 1930. Cela a été suivi par le tourisme de masse après la Seconde Guerre mondiale et surtout à partir des années 1960 avec les attractions de Walt Disney. La cerise sur le sundae a été l’arrivée massive des « snowbirds » ou hivernants canadiens.
Au sujet de Walt Disney, l’auteur note que le succès du premier parc d’attractions a conduit à la création d’Epcot Centre en 1982. Il mettait en vedette les dix pays d’où provenait la majorité des visiteurs, dont le Canada. Les concepteurs du pavillon avaient d’abord imaginé une rue principale avec le Canada anglais d’un côté et le Canada français de l’autre côté. Toutefois, « le gouvernement du premier ministre Pierre Trudeau [est intervenu] pour demander l’uniformité du pavillon et qu’il illustre plutôt les origines diverses – notamment autochtones, celtes et françaises – de ses citoyens ».
Les immigrants canadiens-français en Floride justifient leur départ en reprochant à la Belle Province sa température hivernale, bien entendu, mais aussi son niveau élevé de taxation, de règlementation et de syndicalisation. Ils « semblent préférer le libéralisme économique à l’intervention étatique ». Il faut savoir que la Floride autorise la spéculation par des étrangers et maintient un taux hypothécaire inférieur de 3,5 % à celui du Canada. « Vers 1970, 20 000 $ en capitaux suffisent pour démarrer une entreprise en Floride. »
Dans la dernière moitié du xxe siècle, les immigrants canadiens-français ont la masse critique dans certains districts floridiens pour faire fonctionner une paroisse et une école de langue française, mais « ils ne le font pas. Il faut dire que le clergé ne se rue pas vers cette destination. » Ces immigrants se satisfont d’activités commerciales et culturelles en français. Ils sont « les résidents permanents les moins enclins à demander la citoyenneté américaine (11 %), après les Britanniques ».
Les immigrants affluent vers la Floride pour améliorer leur sort économique et les touristes fréquentent le Sunshine State parce que les vacances y sont peu coûteuses. Les hivernants, eux, « souhaitent surtout se mettre à l’abri du froid canadien ». Ils ont presque tous été d’abord des touristes. Alors que les touristes se dirigent surtout vers Walt Disney World et Miami Beach, les hivernants s’enracinent pour leur part dans des enclaves culturelles canadiennes-françaises. Le Club canadien-français d’Amérique, créé en 1973, organise pour eux toute une panoplie d’activités sociales.
Serge Dupuis explique clairement que les hivernants québécois redeviennent des Canadiens français lorsqu’ils séjournent en Floride. « On semble assister à une modeste reprise de solidarité entre le Québec et la francophonie nord-américaine, grâce à la sociabilité qui émerge organiquement ». L’auteur note que la présence de ces hivernants fait de la Floride « un espace qu’on ne peut plus ignorer dès qu’il est question de francophonie nord-américaine ». Le Sunshine State est devenu une « partie intégrante de l’imaginaire et de l’espace francophones en Amérique ».
Serge Dupuis, Plus peur de l’hiver que du Diable. Une histoire des Canadiens français en Floride, essai, Sudbury, Éditions Prise de parole, coll. Agora, 2016, 190 pages, 23,95 $.