Une règle gravée dans le marbre…
Malgré les efforts fournis pour imposer le français, il ne faut pas croire que la langue a triomphé partout dans le pays.
En 1802, André-Joseph Abrial, ministre de l’Intérieur, reçoit un message du préfet du département du Nord. Ce dernier se plaint des arrondissements de Bergues et d’Hazebrouck dont les habitants ont le front de rédiger leurs documents en flamand, ce qui oblige l’Administration à faire appel à des traducteurs pour enregistrer les actes et fixer les droits à recouvrir. Le préfet réclame une loi pour obliger ces contribuables à écrire leurs contrats en français. Cependant, sa demande ne répond pas à la promotion de la langue nationale, elle a pour seul objectif de faire des économies !
En réponse, Napoléon Bonaparte prend un arrêté pour ordonner que, dans un délai d’un an, tous les actes authentiques sur le territoire soient rédigés en français.
Cet arrêté – encore valable aujourd’hui – a imposé administrativement la langue française. Et cette décision a été acceptée et appliquée sans grandes récriminations ; même en Alsace, terre germanophone, où on nomma simplement un nombre suffisant d’interprètes assermentés.
Restait tout de même à traiter les difficultés qui surgissaient inévitablement chez le notaire. En effet, comment rédiger un testament en français lorsque ni le client ni le juriste ne parlent cette langue ? Cette situation absurde donna lieu à quelques procès.
Toutefois, la Corse fut une exception. Ce département avait le droit de s’administrer dans sa langue régionale ! Dans une lettre envoyée quelques années plus tôt à son parrain, Napoléon Bonaparte qualifiait la domination de la France sur la Corse de « tyrannie la plus affreuse », et se désespérait de constater que les magistrats venus du continent demeuraient étrangers à la langue et aux mœurs de son ile natale.
… Et des conséquences qui perdurent
En 1806, Napoléon Bonaparte s’en va guerroyer en Westphalie. Avec sa suite, il s’arrête sur le chemin pour déjeuner, en Alsace. Le cuisiner leur sert un pain de seigle noir et dur, Napoléon le goute et s’écrie : « C’est bon pour Nickel ! ». Les Alsaciens entendant la parole impériale et, ne comprenant pas vraiment les mots, mais soucieux d’en recueillir les sonorités, baptisent leur pain « Bon-pour-Nickel », Pumpernickel avec leur accent : une spécialité boulangère qu’on peut toujours apprécier aujourd’hui sur les bords du Rhin… alors que Nickel était en fait le nom du cheval de Napoléon Bonaparte !
Et, cette petite fable illustre bien les incompréhensions nées des divers accents régionaux. L’accent corse de l’empereur était si prononcé que ses camarades de l’école militaire ne parvenaient pas toujours à le comprendre alors il fût évidemment difficile aux Alsaciens d’interpréter ses mots.
Pourtant, Napoléon Bonaparte fut un homme de l’oralité. Il a galvanisé ses troupes avec des discours mémorables, même s’il roulait les « r » et prononçait les « u » comme des « ou ». Souvent, il laissait entendre que l’arme suprême n’était pas l’épée, mais la plume. Il était donc fasciné par François-René de Chateaubriand, qui adulait Napoléon Bonaparte à son tour.
L’écrivain, qui connait alors la gloire littéraire avec le Génie du christianisme, rêve de politique. Par la suite, désappointé par la dérive autoritaire du régime, il prendra ses distances avec l’empereur et critiquera ouvertement le despotisme. En revanche, Napoléon Bonaparte ne renonce pas à son admiration pour l’écrivain et l’incite même à entrer à l’Académie française. Chateaubriand hésite, cède, est élu. Son discours de réception, soumis au secrétaire perpétuel avant lecture publique, est un hymne à la liberté « le plus grand des biens et le premier des besoins de l’homme ». Le texte sera porté à Napoléon Bonaparte pour lui demander son arbitrage qui le qualifiera d’inconvenance pensant que « les gens de lettres veulent donc mettre le feu à la France ». Ce discours sera définitivement enterré à la bibliothèque de l’Institut de France et Chateaubriand travaillera de concert avec les autres membres sur le dictionnaire qui en est encore à la lettre E…
La politique semble régresser, mais la langue est en pleine ébullition, évolue et se transforme. Si le français observe désormais des règles rigoureuses, l’oral est plus fluctuant et la liberté que l’on peut prendre avec les mots fait renaitre le débat entre les anciens et les modernes. Comment faut-il parler ?
Rouler dans la farine
Origine : France
Date : XIXe siècle
Signification : duper
Cette expression est l’association du mot « rouler », au sens de tromper, et du mot « farine » qui fait référence à l’aliment dont s’enduisaient les comédiens de l’époque pour se maquiller, ce qui empêchait quiconque de les reconnaitre et leur permettait ainsi de tromper les gens plus facilement.
Casser la croute ou casser la graine
Origine : France
Date : XIXe siècle
Signification : manger un repas léger et rapide
À l’origine, le verbe « casser » était assimilé au verbe mâcher plutôt qu’au fait de rompre un aliment avec ses mains. L’expression induisait qu’on partage son pain avec autrui, signifiant donc qu’on mangeait avec lui. Le pain était employé pour désigner n’importe quelle nourriture.
« Casser la graine » voulait dire « boire un verre » dans la région de Lyon. Cette expression était elle-même issue de l’expression « avoir un grain » qui signifiait « s’enivrer ». On faisait là référence au grain de raisin, la base de la fabrication du vin.
Finalement, les deux expressions ont pris la même signification.
On ne peut être à la fois au four et au moulin
Origine : France
Date : XVIIe siècle
Signification : ne pas pouvoir être partout à la fois et ne pas pouvoir faire plusieurs choses en même temps
Cette expression provient du droit féodal lorsque les vassaux et les paysans étaient tenus, pour moudre leur grain et cuire leur pain, d’utiliser le moulin et le four communs fournis par le suzerain, contre une redevance (tout comme ils devaient utiliser son pressoir pour obtenir leur vin).
Les deux tâches étant obligatoirement exécutées l’une après l’autre, il n’était pas possible d’être à la fois au moulin et au four, et l’on disait d’ailleurs « Au moulin et au four, chacun va son tour ».
Remercier son boulanger
Origine : France
Date : XVIe siècle
Signification : mourir
Au Moyen-Âge, le pain occupait l’esprit des habitants influencés par le dogme de la religion chrétienne. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que cet aliment, qu’il soit sacré ou non, soit lié, de près ou de loin, à la mort. Ainsi toute personne qui n’avait plus besoin de son pain quotidien aurait-elle logiquement remercié son boulanger.
La langue française est étonnante, n’est-ce pas ?
Retrouvez-moi la fois prochaine pour découvrir de nouvelles expressions.