le Jeudi 5 juin 2025
le Mardi 3 juin 2025 16:40 Actualités

Nouvelle poursuite contre le GTNO pour l’obtention d’un programme d’éducation en français langue première

  Générée par Sora
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Encore une fois, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et son ministère de l’Éducation font l’objet d’une poursuite pour les obliger à dispenser de l’enseignement en français langue première.
Nouvelle poursuite contre le GTNO pour l’obtention d’un programme d’éducation en français langue première
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Deux mères de famille et un groupe informel, Parents pour l’Instruction en français à Fort Smith (PIFSS), ont déposé une poursuite en Cour Suprême des Territoires du Nord-Ouest le 28 mai 2025, en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle fait suite à deux refus du gouvernement d’appuyer ces parents, d’abord pour l’année 2024-2025, ensuite pour 2025-2026.
Étant donné la longueur habituelle de ces démarches judiciaires, l’avocat des demanderesses, Francis Poulin, a déposé une ordonnance interlocutoire mandatoire pour obliger le GTNO à fournir, dès l’automne 2025 et pour trois ans, les autorisations et le financement pour un programme partiel de trois classes dans un édifice à déterminer, avec accès au transport scolaire et aux infrastructures telles que gymnase, bibliothèque, espace de rassemblement, etc.
À plus long terme, PIFSS exige la création d’une école distincte de 50 places, de la prématernelle à la 12e année, et l’invalidation d’articles de loi et règlements jugés inconstitutionnels, qui empêchent la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTNO) d’avoir juridiction à Fort Smith – son mandat actuel se limitant à Yellowknife et Hay River.
La directrice générale de la CSFTNO, Yvonne Careen, a expliqué que le GTNO lui avait promis « d’apporter les changements nécessaires au courant des prochains mois ». Mais l’avocat des demanderesses souligne qu’un an après cet engagement, le dossier n’a pas vraiment évolué.

 Renée Rodgers et ses enfants avec Geneviève Côté et son fils.

Courtoisie

Une identité en danger

Renée Rodgers et Geneviève Côté, porte-paroles de Parents pour l’Instruction en français à Fort Smith ont chacune un enfant de cinq ans en prématernelle anglophone. « Ils passent la journée à l’école en anglais, dit Mme Côté. Quand ils jouent ensemble, ils jouent en anglais. […] Maintenant, à toutes les phrases, mon fils me parle en anglais. Je le fais répéter en français. […] Il commence à être tanné, moi aussi. » C’est facile de perdre sa langue, constate-t-elle. 
« Bâtir une école flambant neuve, dit Madame Côté, ce n’est pas ce qu’on demande présentement. On veut débuter un programme avec quelques classes, de petits groupes combinés, un peu comme à l’école Boréale [Hay River]. On serait satisfaites de louer des locaux en attendant. »
Son amie Renée Rodgers considère qu’il n’y a pas de véritable programme d’immersion en français à Fort Smith, l’offre se limitant à des classes allant de la première à la quatrième année. JBT annonçait toutefois le 8 mai dernier que la maternelle et les 5e et les 6e années s’ajouteraient à son offre à l’automne 2025. Quoi qu’il en soit, l’immersion n’est pas sans impact négatif sur les francophones, selon divers intervenants du milieu.

L’importance du nombre 

L’article 23 de la Charte précise les conditions d’accès à l’instruction dans la langue de la minorité, les ayants droit.. La notion du nombre d’enfants est primordiale, car c’est en vertu de celui-ci qu’on justifie – ou non – la prestation de fonds publics pour l’enseignement. Cependant, la Charte ne précise pas quel est le nombre minimal où l’instruction en langue minoritaire doit être fournie. La jurisprudence dit qu’il faut « déterminer si le nombre d’élèves de la minorité visé est comparable au nombre d’élèves dans les écoles de la majorité. Cette comparaison se fait à l’échelle de la province, même dans le cas des petites écoles rurales. »
PIFFS anticipe avoir une dizaine d’élèves pour la rentrée 2025, dont six non-ayants droit admissibles selon les critères en vigueur à la CSFTNO. Sur une perspective de 12 ans, les chiffres s’élèveraient à une cinquantaine d’élèves, comprenant une vingtaine de non-ayants droit admissibles.
Or, une dizaine d’écoles ténoises comptent moins que 60 élèves, assure Maître Poulin; celle de Wekweeti compterait 18 élèves.

Des chiffres et une analyse contestée

Cependant, en décembre 2024, la ministre de l’Éducation, de la Culture et de la Formation, Caitlin Cleveland, écrit aux porte-paroles qu’on ne peut pas utiliser de petites municipalités pour établir des comparaisons, ajoutant que le collectif présente des chiffres non réalistes. Elle dit toutefois ne pas rejeter la demande : « Malgré le nombre d’enfants, écrit Mme Cleveland, le personnel du ministère et moi-même participons à des discussions qui pourraient mener à la création d’un programme d’enseignement en français langue première à Fort Smith, qu’il y ait ou non une telle obligation en vertu de l’article 23. »
Mais au printemps 2025, la ministre Cleveland change ensuite de cap, du moins pour 2025-2026.
« Sans l’obligation prévue à l’article 23 de la Charte, écrit-elle, le 28 mars 2025, je ne suis pas en mesure de soutenir la mise en œuvre d’un programme en français […] pour le moment. »
Les chiffres des Parents pour l’Instruction en français à Fort Smith sont revus à la baisse et on reproche au groupe de ne pas les appuyer par des données.

Si la ministre ne met pas le poids du gouvernement derrière la légitimité du programme, on ne peut s’attendre à ce que les parents veuillent s’inscrire dans un programme qui part de manière inférieure et moins légitime et qui ne va peut-être jamais atteindre le niveau requis par l’article 23, qui est l’équivalence réelle.

— Francis Poulin, avocat des Parents pour l’Instruction en français à Fort Smith.

Pour la ministre de l’Éducation, de la Culture et de la Formation, Caitlin Cleveland, les chiffres ne justifient pas pour l’instant la présence d’une école francophone à Fort Smith. 

Capture d'écran

L’implication du gouvernement

S’il échoit aux demandeurs de situer le nombre d’élèves sur une projection à long terme, « la province a l’obligation de promouvoir activement des services éducatifs dans la langue de la minorité et d’aider à déterminer la demande éventuelle », juge la Cour Suprême du Canada dans la cause Arsenault-Cameron.
« […] Ce que la Cour suprême dit, c’est que le rôle du gouvernement est d’aider à faire la promotion des programmes de français, commente Me Poulin. […] Si la ministre ne met pas le poids du gouvernement derrière la légitimité du programme, on ne peut s’attendre à ce que les parents veuillent s’inscrire dans un programme qui part de manière inférieure et moins légitime et qui ne va peut-être jamais atteindre le niveau requis par l’article 23, qui est l’équivalence réelle. […] Il ne faut pas juste dire que le nombre n’est pas suffisant. »
L’avocat ajoute que l’expérience prouve que lorsqu’on construit une école au Canada, elle se remplit éventuellement, prenant pour exemple les cas des écoles Allain St-Cyr et Boréale, qui ont débuté avec de très petits nombres. Il trouve légitime que les catégories de non-ayants droit admis à la CSFTNO – francophones n’ayant pas encore la citoyenneté canadienne, par exemple – puissent aussi l’être à Fort Smith.
 « Dans le contexte particulier des TNO, précise-t-il, il existe un règlement qui favorise l’admission des non-ayants droit et qui délègue le pouvoir de les admettre à la CSFTNO. »
Sollicitée par Médias ténois, la ministre n’a pas accédé à la demande d’entrevue : « Le GTNO ne commentera pas pour l’instant les particularités de la cause, a fait savoir une porte-parole du Cabinet, mais nous reconnaissons l’importance de fournir une éducation de haute qualité dans les deux langues officielles canadiennes. »

Difficultés du recrutement

Selon Renée Rodgers et Geneviève Côté, les chiffres actuels justifient l’obligation d’un enseignement en français langue première à Fort Smith mais ils pourraient facilement être plus élevés. Elles avancent que plusieurs familles ont quitté Fort Smith les dernières années à cause de l’absence d’un programme en français et d’autres choisissent de s’établir ailleurs aux TNO pour la même raison.
Les deux mères témoignent des difficultés de recruter des élèves pour une nouvelle école, dans un contexte d’incertitude quant à l’offre scolaire, parascolaire et à l’accès aux infrastructures.
« Il y a des familles qui choisiraient le français si l’école était comme un peu comme Boréale, […] si elles avaient accès à ce qui est offert à la majorité, comme [la piste d’athlétisme], des spectacles, dit Geneviève Côté. […] Plusieurs familles francophones ont un héritage autochtone. Elles disent qu’elles n’enverront pas leur enfant en français s’il n’a pas accès à des cours de chipewyan ou de cri. On veut absolument offrir ça. Mais ça va dépendre de ce qu’on peut créer. Présentement, avec un refus total du gouvernement, on n’a vraiment rien. Ça fait peur à certaines familles de sortir d’une école qui a déjà tout pour pouvoir se lancer dans l’inconnu. Évidemment, on veut créer un programme qui offre le plus au plus grand nombre. »

La CSFTNO et sa directrice générale, Yvonne Careen, appuient la création de classes francophones à Fort Smith et déplorent qu’il faille avoir recours aux tribunaux pour y parvenir.

Photo Denis Lord

Un héritage à la communauté

« On sait que ça va laisser quelque chose à cette communauté, même après que nos enfants aient grandi à travers ce système, ajoute Mme Côté. Les bénéfices sont énormes. J’espère vraiment que ça va marcher et qu’on puisse démarrer quelque chose de nouveau parce qu’on veut que Fort Smith grandisse. On a tellement une grosse communauté francophone ici maintenant, ça fait du sens d’avoir un programme français et une garderie. […] Les petits enfants qui grandissent aux Territoires du Nord-Ouest, qui parlent français, c’est donc bien beau, il faut que ça continue. »
Dans un communiqué daté du 2 juin, la CSFTNO dit soulever la possibilité d’offrir une programmation en français à Fort Smith depuis environ deux ans justifiée par la Charte. « La CSFTNO salue la détermination et le courage des parents de Fort Smith », fait valoir le communiqué. 

Francis Poulin a défendu les droits des francophones dans de nombreuses causes aux Territoires du Nord-Ouest, en Colombie-Britannique et au Yukon.

Courtoisie

Violations systémiques 

Le recours judiciaire stipule aussi des dommages-intérêts punitifs et exemplaires de 1 M$ pour « décourager la perpétration d’autres interprétations restrictives et de violations systémiques de l’article 23 et neutraliser l’intérêt que le gouvernement a à se prévaloir de sa propre turpitude à l’endroit des droits de la minorité linguistique ». 
« On est convaincus que la position par défaut du gouvernement des TNO sur les questions francophones, c’est non », résume Renée Rodgers.
La Fédération franco-ténoise, qui a aidé les parents à s’organiser, se dit mécontente de voir que le GTNO préfère encore investir dans un processus judiciaire plus dispendieux que la mise en place d’un programme d’enseignement en français. « Il est absolument inconcevable que la seule voie de règlement soit la cour, et ce, à chaque fois que la communauté cherche à avoir accès à ces droits en matière d’éducation », note la présidente de la FFT, Sophie Gauthier.
« Je pense que ça va être un long combat » anticipe Me Poulin, qui dit en être à son cinquième procès aux TNO dans le domaine des droits de la francophonie.