Lia Ruttan collecte les récits de pompiers autochtones du Slave Sud.
Archiver le savoir et le vécu des pompiers autochtones du passé, mais aussi le transmettre à leurs homologues actuels et futurs, voilà la recherche entreprise par Lia Ruttan dans la région de Fort Smith aux TNO.
Mme Ruttan a eu jusqu’à maintenant une quarantaine de discussions informelles avec d’anciens pompiers cris, dénés et métis. Pas de véritables entrevues, précise-t-elle.
Plus récemment, elle s’est concentrée sur les plus vulnérables, âgés de 80 ou de 90 ans.
« Ils sont tellement enthousiastes de parler, dit Lia Ruttan. Ils aiment raconter leurs histoires. Ce n’était pas juste un travail pour eux. […] Ils sont fiers de ce qu’ils ont fait. Quand il y a eu l’incendie à Fort McMurray (en 2016), ils parlaient de comment ils le combattraient.
« Pour apprendre comment lutter contre un incendie, on écoutait les Ainés, a témoigné l’ancien pompier Raymond Beaver. Ils essayaient de nous expliquer du mieux possible pour que nous nous souvenions. Nous faisions exactement la même chose qu’eux et, même dix ans plus tard, nous nous en souvenions encore. »
Freddie Beaulieu, 82 ans, a raconté sa première expérience de pompier à Mme Ruttan.
« Je revenais à la maison et la police a frappé à la porte et a dit : “Fred, on vient te chercher pour lutter contre le feu.” J’avais 15 ans. J’ai dit : “D’accord, j’y vais…”, en me disant que j’apprendrais quelque chose. Dans notre temps, les gens ne disaient pas non, ils aimaient avoir des expériences différentes. […] Ensuite, j’ai combattu des incendies un peu partout et nous avons bien fait. »
Une méthodologie autochtone
Lia Ruttan possède un doctorat en écologie humaine et a déjà signé quelques recherches axées sur le savoir des Ainés.
Semi-retraitée, elle est liée à l’Université de l’Alberta, qui ne participe toutefois pas à son projet de recherche. Elle a reçu un permis de l’Institut de recherche Aurora en mai 2019.
Son propre compagnon est un ancien pompier; elle a été interpelée par des pompiers autochtones de la région de Fort Smith qui trouvaient que leur savoir pourrait bénéficier aux jeunes… et aux Territoires du Nord-Ouest.
Lia Ruttan utilise une méthodologie autochtone et une approche décolonisatrice.
« Les anciens pompiers sont impliqués dans la prise de décision, explique-t-elle, dans chaque partie de la recherche. C’est différent d’avec la science occidentale, où il y a une distance avec le sujet. Mais si tu es distant, personne ne va te parler, parce que tu ne comprendras rien. »
Cette approche et le consensus qu’elle implique nécessitent plus de temps à mettre en place qu’avec une approche occidentale. Ce fait combiné avec l’absence de financement du projet de recherche et certains obstacles rencontrés, Mme Ruttan estime qu’elle a encore deux ans de travail devant elle, bien plus que ce qui était initialement prévu.
L’équipe de recherche souhaite qu’en plus du rapport de recherche, les témoignages recueillis se transforment en vidéo, en participation à des conférences, en manuel de pompier, ou encore en livre pour enfant.
Évidemment, tout cela est tributaire d’un éventuel financement.
Du passé au présent
Les pompiers d’autrefois travaillaient de manière bien différente de ceux d’aujourd’hui et avec beaucoup moins de matériel et de support aérien, souligne la chercheuse.
« Ils devaient parfois marcher treize kilomètres pour aller éteindre un incendie et devaient se nourrir sur place, rappelle Mme Ruttan. Mais ils savaient comment travailler ensemble, ils avaient leur propre vision du leadeurship. Leur façon de travailler était moins bureaucratique. Ils travaillaient la nuit, c’était plus frais. Ils avaient une carte mentale du territoire. »
Elle relate qu’il leur semble incongru qu’aujourd’hui, on laisse le feu prendre de l’expansion.
« Ils n’aiment pas voir le paysage bruler, explique Mme Ruttan, parce qu’ils se soucient des animaux. »
Jusqu’à maintenant, le gouvernement ténois ne se serait pas montré intéressé par le travail de recherche et les savoirs autochtones en matière d’incendie.
« Ils ont de la misère à comprendre, de dire la chercheuse. C’est un problème culturel. Mais nous allons persévérer. »