Décédé le 11 février dernier à l’âge de 96 ans, le géographe de renommée internationale Louis-Edmond Hamelin a eu une carrière féconde et polymorphe consacrée au Nord.
Un des plus grands legs de M. Hamelin, né au Québec en 1923, aura été la création du Centre d’études nordiques (CEN) en 1961. Le CEN est aujourd’hui un centre d’excellence interuniversitaire de réputation internationale dont l’expertise touche autant l’archéologie que la microbiologie.
Le nom même du centre illustre l’intérêt de Louis-Edmond Hamelin pour la linguistique, la nécessité de posséder des mots facilitant la navigation dans des concepts précis. Effectivement, avant 1961, le mot « nordique » est strictement utilisé pour désigner la Scandinavie. Le géographe le dotera d’un second sens, hors d’une perspective eurocentrique, désignant dorénavant « la partie septentrionale de l’hémisphère boréal ».
Détenteur d’une maitrise en terminologie, auteur de Le Nord et son langage, le géographe est d’ailleurs le créateur de plusieurs néologismes comme « glaciel », « hivernité », « autochtonie » et, surtout, « nordicité ».
Professeur au département de géographie de l’Université Laval et spécialiste du pergélisol, Michel Allard a été un élève de M. Hamelin à cette même institution.
« Il nous expliquait l’indice de nordicité, se rappelle M. Allard, avec le terme vapo pour des valeurs polaires [ou variables], comme la température, la population, selon qu’elle soit inuite ou amérindienne, la limite des arbres, le pergélisol, le réseau routier, etc. »
Sur Twitter, à l’occasion de son décès, la coéditrice du Arctic Yearbook, Heather Exner-Pirot, a rappelé l’intérêt du concept de nordicité, où la latitude n’est qu’une variable parmi d’autres.
Pour Michel Allard, ce concept a beaucoup évolué au fil des ans, la nordicité devenant également quelque chose de l’ordre du tempérament, de la culture.
Une pensée avant-gardiste
Louis-Edmond Hamelin a milité pour que le Nord canadien ne soit plus perçu comme une colonie du Sud, d’où il est administré, mais aussi pour que ses habitants, les Autochtones, notamment, participent aux prises de décision. Michel Allard considère que sur ces aspects, Louis-Edmond Hamelin était à l’avant-garde de son époque.
« Pour lui, dit-il, le Nord du Canada est un pays autochtone. Il était prodéveloppement des ressources, mais le développement devait se faire de façon harmonieuse avec les Autochtones. Il a conseillé les Cris lors du développement de la baie James. »
Dans La nordicité du Québec, de Daniel Chartier et Jean Désy, le géographe rappelle s’être déjà prononcé en faveur de la création d’un gouvernement du Nunavik et d’une représentation autochtone à l’Assemblée nationale du Québec.
Aux Territoires du Nord-Ouest
Entre 1971 et 1975, Louis-Edmond Hamelin a siégé au 7e Conseil législatif des Territoires du Nord-Ouest, faisant partie de la dernière cohorte de membres désignés par le gouverneur général.
« C’est un de ceux pour qui l’Assemblée devait être constituée de députés élus et pour qui la région devait avoir plus d’autonomie », assure André Légaré, docteur en géographie, chercheur associé à l’Université de Saskatchewan et résident des TNO.
Ce sera chose accomplie en 1975 avec l’entrée en vigueur des modifications à l’Acte des Territoires du Nord-Ouest, alors que les 15 députés seront élus.
« Il m’avait dit à plusieurs reprises avoir adoré cette expérience, une des plus belles de sa vie », raconte André Légaré, pour qui Louis-Edmond Hamelin a été un modèle, un pionnier de la recherche sur le Nord, qui a travaillé aussi bien sur la géographie physique qu’humaine.
« Louis-Edmond Hamelin avait fait beaucoup d’expéditions aux TNO depuis les années 50, rappelle M. Légaré. Il est le premier […] et un des rares francophones à avoir écrit sur les Territoires du Nord-Ouest. Son livre Nordicité canadienne contient plusieurs chapitres sur les TNO et le Yukon. »
Au cours de sa carrière, M. Hamelin a reçu un nombre important de distinctions, parmi lesquelles officier de l’Ordre du Canada, membre de la Société Royale du Canada, membre de l’Ordre des francophones d’Amérique et correspondant de l’Académie des sciences morales et politiques (France).