Charmaine Okatsiak a reçu un prix de littératie remis par le Conseil de la fédération en reconnaissance de son travail pour la revitalisation de la langue inuktitute dans sa communauté de Rankin Inlet, au Nunavut
Mme Okatsiak est une personne passionnée qui travaille sans relâche à la transmission de la langue des ainés aux jeunes à travers des ateliers d’une durée de cinq semaines qui ont eu lieu pendant la saison estivale. « Ce programme comprenait des cours d’inuktitut où les participants apprenaient la terminologie lors d’excursions sur le territoire, où les activités culturelles étaient dirigées par des ainés », indique-t-elle.
Ayant grandi dans un milieu unilingue ou seul l’inuktitut était parlé, Mme Okatsiak a appris l’anglais lors de son entrée en maternelle et a décidé, à ce moment-là, de privilégier l’usage de cette langue, car « c’était la langue que les gens utilisaient autour de moi ».
Hameau de plus de 2 700 habitants situé sur la côte ouest de la baie d’Hudson, Rankin Inlet comprend une grande communauté de personnes anglophones venant d’autres provinces du Canada et 60 % de la population a comme langue maternelle l’inuktitut selon un recensement de 2016 de Statistique Canada.
Bien que coordinatrice bénévole dans le projet de revitalisation de l’inuktitut, Mme Okatsiak avoue avoir ressenti de la joie lorsqu’elle a appris que le prix de littératie lui avait été décerné. « Lorsque j’ai reçu l’appel, j’ai ri de joie parce que je me suis sentie appréciée pour tout le travail que j’ai accompli », dit-elle.
C’est pour combler le fossé entre les générations que Mme Okatsiak s’investit sans relâche dans la transmission de sa langue, mais aussi pour aider les personnes de son âge qui font face à des difficultés de communication en inuktitut.
« Je vois et je comprends le combat auquel nous devons faire face pour nous réapproprier notre langue. Nous devons construire des ponts entre les ainés et les jeunes », pense-t-elle.
Une déconnexion entre les générations
Les langues autochtones sont dans une situation délicate au Canada et le fossé qui s’est creusé entre la génération des personnes ainées et les jeunes est une des conséquences.
Pour le chercheur en anthropologie linguistique et professeur émérite de l’université Laval de Québec, Louis-Jacques Dorais, les ainés n’ont plus l’occasion d’enseigner la langue, car les jeunes s’en désintéressent ou se sentent intimidés. « Certains jeunes ne parlent pas à leurs grands-parents, car ils pensent que ça va les insulter de leur parler un inuktitut incomplet et préfèrent de ne pas leur parler du tout », observe-t-il.
L’idéal, selon M. Dorais, est l’apprentissage de la langue à l’extérieur et au contact de la culture traditionnelle. Il voit d’un bon œil l’initiative mise en place par Mme Okatsiak, car elle combine la pratique de la langue aux gestes traditionnels qui étaient autrefois le quotidien des personnes ainées.
« L’important c’est que l’apprentissage de la langue se fasse en même temps que l’apprentissage de techniques et de façons de faire liées à la vie sur le territoire », précise-t-il.
L’évolution rapide des conditions de vie et du quotidien des jeunes, qui ne ressemblent plus tout à fait à ce qu’ont vécu les personnes ainées, est un frein à la transmission, selon la directrice du département d’anthropologie de l’université Laval, Michelle Daveluy. Ce changement radical a donc pour effet d’éloigner deux générations qui éprouvent de la difficulté à entrer en contact.
« Les conditions dans lesquelles les jeunes vivent ne sont pas nécessairement les mêmes que celles dans lesquelles les ainés vivaient à leur âge, note l’anthropologue. Il y a des changements qui se sont produits et c’est plus difficile pour les jeunes de reproduire exactement les mêmes façons de parler et d’utiliser l’inuktitut dans les mêmes contextes que ce que les ainés pouvaient faire. »
C’est pourquoi Mme Okatsiak a ancré ses ateliers au cœur de la culture traditionnelle en réunissant ainés et jeunes autour d’un thème différent chaque semaine. Le thème du feu a notamment été abordé à travers un atelier autour de la lampe à huile de phoque traditionnelle appelée qulliq ou encore la cuisson de la viande sur des mousses et des pierres plates.
« Je souhaite incarner le changement que je souhaite voir », pense celle qui endosse le rôle de modèle au sein de sa communauté. Elle estime par ailleurs que les ateliers ont été des sessions de « guérison » pour les jeunes qui cherchent à définir leur propre identité et elle espère par ce biais, créer les conditions d’un futur positif où l’identité inuite pourra s’exprimer sans obstacle dans la société canadienne.