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le Jeudi 15 septembre 2022 20:32 | mis à jour le 20 mars 2025 10:41 Arctique

Tuberculose: trouver les sépultures et faire le deuil

Tuberculose: trouver les sépultures et faire le deuil
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La tuberculose a fait de nombreuses victimes entre 1940 et 1960 au Canada. Certains patients issus des collectivités du Nord, envoyés dans des sanatoriums du Sud pour suivre un long traitement de plusieurs années, n’ont pas survécu à cette maladie hautement contagieuse pour laquelle aucun traitement efficace n’était connu avant les années 1950. Le projet Nanilavut lancé en 2019 par l’organisme Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) a pour but de collecter les archives concernant ces patients décédés durant l’épidémie et permettre aux familles de savoir quand leurs proches sont décédés et où ils sont enterrés.

« Huit-cent-cinquante Inuits ont succombé à la tuberculose durant cette sinistre période, mais ce chiffre pourrait augmenter au fur et à mesure de la collecte des documents d’archives », peut-on lire sur le site Internet du projet. À ce jour, il a permis de collecter une base de données comprenant plus de 4500 documents. « La base de données du projet Nanilavut est une compilation de dossiers et d’informations provenant d’archives gouvernementales et religieuses, d’hôpitaux et de cimetières à travers le Canada ainsi que d’entretiens en personne avec des membres de la famille et des survivants », indique Sarah Rogers, conseillère principale en communication pour ITK.

 

Des sépultures à Edmonton

Le projet de collecte des archives couvre quatre régions : le Nunavut, le Nunatsiavut, le Nunavik et la région désignée des Inuvialuit. C’est la Société régionale inuvialuite basée à Inuvik qui gère la collecte des documents pour cette dernière région. Beverly Lennie, gestionnaire du projet au sein de cette corporation, a déjà récolté des archives concernant 13 patients qui ne sont jamais retournés dans leurs familles. Près de 80 ans après les faits, les familles disent éprouver un sentiment de soulagement lorsque la tombe d’un proche est finalement localisée dans l’un des cimetières d’Edmonton. En 1946, c’est à l’hôpital Charles Camsell que les patients tuberculeux de tout l’Ouest et du Nord du Canada étaient envoyés. Les patients étaient enterrés dans l’un des trois lieux de sépulture en périphérie d’Edmonton et le cimetière Saint-Albert abrite les tombes d’au moins 98 personnes du Nord : « Les familles sont très reconnaissantes et soulagées, car elles savent enfin où se trouve l’être aimé », précise Mme Lennie.

Clore un chapitre douloureux

Nanilavut est un projet au long terme dont le financement actuel court jusqu’en 2026. Avec l’aide des archivistes des Archives de la province d’Alberta ainsi que du Conseil du Patrimoine d’Edmonton, Mme Lennie a été en mesure de collecter 132 certificats de décès concernant, non seulement, des patients de la région désignée des Inuvialuit, mais aussi du Nunavut. L’ensemble des documents collectés à ce jour sont disponibles pour consultation à partir d’une banque de données sécurisée.

« Le projet Nanilavut est important parce que les membres des familles [affectées] ont besoin de clore ce chapitre », explique-t-elle.

 

Une communication défaillante

Selon Melissa Cardinal-Grant, dont le projet de maitrise en santé publique à l’université d’Alberta à Edmonton concerne les archives de cette sombre période, l’éloignement ainsi que l’absence de communication adéquate, de la part de l’administration des hôpitaux, avec les familles sont les principales raisons invoquées.

Beverly Lennie est aussi de cet avis. À une époque où la radio et les télégrammes étaient les principaux moyens de communication dans les collectivités de l’Arctique, l’absence d’alternative au relai d’informations importantes sur la santé d’un proche a laissé de nombreuses familles dans l’incertitude et le désarroi.

 

Une maladie toujours présente dans les territoires

Aujourd’hui la tuberculose est toujours présente au Nunavut et une épidémie apparue le 25 novembre 2021 à Pangnirtung n’a toujours pas été éradiquée. Depuis janvier 2021, 35 personnes sont tombées malades et 126 autres ont été atteintes par la tuberculose latente dans cette collectivité de plus de 1400 habitants. En 2017, 101 personnes ont été diagnostiquées au Nunavut contre 84 en 2014. Une étude complétée par la Société canadienne de pédiatrie, publiée le 14 janvier 2020, tirait la sonnette d’alarme sur la proportion démesurée des populations des Premières Nations, des Inuits et des Métis touchés par la tuberculose.

« Au Canada, les pratiques historiques de lutte contre la tuberculose ont contribué à l’ostracisme et à la discrimination envers les personnes atteintes, de même qu’à la crainte et à la méfiance envers le système de santé. Ces facteurs individuels et systémiques retardent les diagnostics et favorisent la transmission, la médiocrité des résultats cliniques et un faible taux d’achèvement des traitements », peut-on lire dans le résumé de l’étude.

 

Les pensionnats, vecteurs de la maladie

Pour certaines collectivités, l’étude met en lumière une véritable crise de santé publique qui touche aussi les enfants, particulièrement vulnérables face à la maladie. Elle souligne aussi les traumatismes historiques liés à la gestion et au traitement de l’infection dans le passé et la piètre communication des établissements hospitaliers sur l’évolution de l’état d’un patient.

« Les familles n’étaient pas nécessairement informées du bienêtre de leur enfant en sanatorium ni de l’endroit où il se trouvait. Certains enfants sont décédés sans que leur famille sache où ils avaient été enterrés. Certains jeunes enfants qui se remettaient de la tuberculose étaient transférés directement des sanatoriums aux pensionnats, aggravant ainsi leur traumatisme. Les conditions des pensionnats, qui exacerbaient l’épidémie, ont été qualifiées de “terrains fertiles” et d’“aires d’incubation” de la tuberculose. »

Dans le rapport final de la Commission-vérité et réconciliation publié en 2015, l’appel à l’action 19 demande expressément « au gouvernement fédéral, en consultation avec les peuples autochtones, d’établir des objectifs quantifiables pour cerner et combler les écarts dans les résultats en matière de santé entre les collectivités autochtones et les collectivités non autochtones, en plus de publier des rapports d’étape annuels et d’évaluer les tendances à long terme à cet égard ».

L’une des solutions proposées par l’étude de la Société canadienne de pédiatrie concerne la façon de communiquer avec les familles qui doit être adaptée aux collectivités autochtones et disponibles dans la langue de leurs choix.