le Lundi 16 juin 2025
le Dimanche 15 juin 2025 14:25 Arctique

La flore arctique en transition

La biodiversité des plantes de la toundra peut être étonnamment élevée, comme ici sur l’île Qikiqtaruk-Herschel dans le Yukon. — Photo Gergana Daskalova
La biodiversité des plantes de la toundra peut être étonnamment élevée, comme ici sur l’île Qikiqtaruk-Herschel dans le Yukon.
Photo Gergana Daskalova
Une étude internationale publiée dans la revue Nature, le 30 avril 2025, révèle les changements de la flore arctique depuis les années 1980. Cette recherche repose sur des observations à long terme faites dans 45 sites répartis à travers l’Arctique circumpolaire.
La flore arctique en transition
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Entre 1981 et 2022, des scientifiques ont analysé 2 174 parcelles afin de quantifier les changements temporels de la richesse et de la composition des espèces végétales. Dans un article scientifique signé par 54 chercheur.euse.s, les facteurs géographiques, climatiques et biotiques à l’origine de ces changements ont également été identifiés par ses auteur.rice.s provenant du Canada, des États-Unis, mais aussi du Groenland, du Danemark ou encore de la Norvège. Au total, 18 pays ont pris part à cette étude de grande ampleur.

Au fil du temps, certaines espèces vont disparaitre et d’autres espèces vont arriver. Il y a donc un changement dans la composition et un des aspects de ce changement, c’est une augmentation de l’importance des arbustes.

— Mark Vellend, professeur en écologie dans le département de biologie de l’Université de Sherbrooke au Québec

Les évolutions observées de la flore 

L’étude ne montre pas une perte nette de diversité végétale, ce qui est un point important. Cependant, les changements majeurs concernent la composition des espèces. Par exemple, des plantes boréales migrent vers le nord et remplacent certaines espèces arctiques, ce qui peut donner une impression de diversité stable en nombre, mais avec une modification profonde de l’écosystème. 

Pour Mark Vellend, coauteur de l’étude et professeur en écologie dans le département de biologie de l’Université de Sherbrooke au Québec, plus le réchauffement climatique s’intensifie et plus les changements écologiques de la végétation augmentent. Il faut donc s’attendre à ce que certaines espèces en remplacent d’autres. 

« Au fil du temps, certaines espèces vont disparaitre et d’autres espèces vont arriver. Il y a donc un changement dans la composition et un des aspects de ce changement, c’est une augmentation de l’importance des arbustes. Donc, certaines espèces gagnent, d’autres, plus petites et désormais dans l’ombre des arbustes, vont périr », explique-t-il lors d’une entrevue.

Vers une augmentation du couvert arbustif

Noémie Boulanger-Lapointe, professeure de géographie à l’Université de Victoria et coautrice de la publication s’est penchée sur plusieurs sites de l’ile d’Ellesmere au Nunavut. Selon elle, il n’y a pas de tendance claire sur l’évolution de la flore arctique. Même si une baisse du nombre d’espèces a été observée, on ne peut pas parler d’une perte en soi. Dans le contexte du changement climatique, « les espèces changent et c’est ce qui a été observé », précise la professeure.

Un autre constat important mis en évidence par cette étude est l’augmentation du couvert arbustif, notamment dans les zones sud de l’Arctique, en réponse au réchauffement climatique. Ce changement entraine une homogénéisation du paysage, les arbustes prenant de plus en plus de place au détriment des espèces des milieux ouverts. Sans que cette constatation soit inquiétante, des espèces boréales migrent vers le nord, explique Noémie Boulanger-Lapointe.

« C’est certain qu’on commence, surtout dans le sud de l’Arctique, à voir des nouvelles espèces plus boréales s’établir. »

Malgré la présence de certaines espèces tolérantes aux zones d’ombre, il faut peut-être s’attendre à ce que la richesse des espèces végétales diminue là où la couverture arbustive augmente au fil du temps. Par conséquent, les communautés végétales de la toundra proches de la limite des arbres pourraient suivre des trajectoires différentes selon qu’elles sont dominées par des arbustes ou par des communautés végétales de la toundra ouverte, peut-on lire dans l’article scientifique.

 

Standardisation du protocole

L’un des apports majeurs de cette recherche, selon Mme Boulanger-Lapointe, réside dans l’utilisation de protocoles standardisés de relevés de végétation mis en place depuis environ 30 ans. 

« Ce qui est vraiment précieux, c’est qu’on peut comparer les sites entre eux parce qu’on a utilisé la même méthode », détaille-t-elle. 

Cette étude a mis en lumière les changements dans la diversité des plantes arctiques. Leurs compositions dépendent du contexte local, du réchauffement et de l’embroussaillement. Ces facteurs apparaissent comme des éléments clés qui influencent l’ampleur du renouvèlement des espèces.

Cependant selon les auteur.rice.s, des recherches supplémentaires sont nécessaires car l’augmentation des températures devrait s’accompagner d’une hausse des précipitations, rendant l’Arctique plus chaud et plus humide. 

Le vaste remaniement de la composition des plantes de l’Arctique au cours des dernières décennies, souligne pour cette équipe scientifique, le besoin urgent d’explorer les effets de ces changements sur la fonction de l’écosystème, les habitats de la faune et de la flore et les moyens de subsistance des collectivités de l’Arctique.

La flore arctique regroupe l’ensemble des espèces végétales présentes dans les régions situées au nord de la limite des arbres. Elle est dominée par la toundra, un biome caractérisé par l’absence d’arbres en raison des conditions climatiques extrêmes (froid, pergélisol, courte saison de croissance).

La végétation de la toundra se compose principalement de plantes herbacées (comme les graminées et les carex), de petites plantes à fleurs, ainsi que de petits arbustes tels que les saules et les aulnes.