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le Jeudi 11 septembre 2025 8:09 Arctique

La chasse au trophée de grizzli contestée au Yukon [1/3]

Pour l’organisme de protection des grizzlis du Yukon (Grizzly Bear Protection Yukon), la chasse au trophée de grizzlis est obsolète et non éthique. — Courtoisie Uli Nowlan
Pour l’organisme de protection des grizzlis du Yukon (Grizzly Bear Protection Yukon), la chasse au trophée de grizzlis est obsolète et non éthique.
Courtoisie Uli Nowlan

L’organisation du Yukon de protection des grizzlis s’est récemment exprimé dans le média Yukon News. Dans une lettre à l’éditeur, l’organisation indique que la chasse au trophée de grizzlis est obsolète et non éthique.

La chasse au trophée de grizzli contestée au Yukon [1/3]
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Uli Nowlan et Peggy Land siègent au conseil d’administration de l’organisme Grizzly Bear Protection Yukon.

Photo Nelly Guidici

Le 11 avril 2025, l’organisation de protection des grizzlis (Grizzly Bear Protection Yukon) a fait valoir son point de vue dans le journal local Yukon News. Selon cet organisme, la chasse au trophée de grizzli est une activité non éthique et dépassée. 

Les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon sont les seuls endroits au Canada dans lesquels ce type de chasse est autorisée. Chassé à l’automne, lorsque l’animal cherche à s’engraisser avant l’hibernation, il est aussi chassé au printemps, entre le 15 avril et le 21 juin au Yukon. 

À la sortie de l’hibernation, les grizzlis sont maigres et en mauvaise condition physique, affirme Annette Belke, présidente de l’organisme, dans la lettre. « Bien que la culture dominante soutienne que la chasse au printemps sert d’outil de gestion pour contrôler les populations d’ours, elle est considérée par beaucoup comme contraire à l’éthique et critiquée pour son potentiel à rendre orphelins les oursons qui ne peuvent survivre seuls. » 

Une population en diminution ?

Mme Belke avance plusieurs raisons, notamment éthiques, à cette prise de position. Elle avance que la chasse au trophée est moralement répréhensible par l’opinion publique car « les animaux doivent être traités avec respect et ne doivent pas être chassés pour le simple plaisir ou pour exposer des trophées. » 

Par ailleurs, la population de grizzlis aurait « considérablement diminué au fil des ans en raison de la perte de leur habitat, du braconnage et d’autres facteurs. »

La chasse au trophée peut mettre davantage en danger leur population et perturber leur fragile équilibre écologique, avance-t-elle.

En mai 2012, l’ours grizzli de l’ouest du Canada a été placé parmi la liste d’espèces préoccupantes par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC). Il s’y trouve toujours 13 ans plus tard. 

Le même chiffre est utilisé depuis les années 1980, et nous trouvons cela totalement irresponsable et trompeur, car personne ne connait réellement la population de grizzlis.

— Uli Nowlan, membre du conseil d’administration de Grizzly Bear Protection Yukon

 Le gouvernement du Yukon reconnait que les données sur les grizzlis sont limitées, car ils sont difficiles à étudier et couteux à surveiller.

Courtoisie Uli Nowlan

La réponse des pourvoyeurs 

Heather Deuling est copropriétaire de la compagnie de pourvoyeurs Blackstone Outfitters au Yukon. Elle a répondu dans une lettre à l’éditeur publiée le 6 juin 2025 par Yukon News. Pas d’inquiétudes à avoir pour les ours noirs et les grizzlis, selon elle. « Des études récentes montrent que les populations de grizzlis dans le nord du Yukon sont stables et prospères. Bien qu’ils soient classés au niveau national comme une espèce préoccupante, les grizzlis du Yukon ne sont pas menacés », avance-t-elle. 

Ce débat ne doit pas être animé par l’émotion, mais par la science, pense Mme Deuling. De plus, il est important de rappeler que le grizzli est un prédateur des populations d’ongulés, en particulier pendant la saison de mise bas au printemps. 

Pour Uli Nowlan, membre du conseil d’administration de Grizzly Bear Protection Yukon, le point de vue de Mme Deuling n’est pas ancré dans la science ni sur des données récentes. « Il n’y a absolument aucune base scientifique pour cela. Ils nous ont accusés d’être dans l’émotion, mais ils ne sont pas différents, car ils protègent leur pratique », a-t-elle expliqué lors d’une entrevue.

Pas de données mises à jour

Le gouvernement du Yukon (YG) estime que le nombre de grizzlis se situe entre 6 000 et 7 000 individus. Le 21 octobre 2019, YG dévoilait son plan de conservation du grizzli qui vise à orienter les décisions relatives à cette espèce afin d’assurer leur santé dans leur habitat et la viabilité de leur population. Cependant, Pauline Frost, ministre de l’Environnement à l’époque, considérait la chasse au grizzli comme une opportunité économique pour le territoire. « Les grizzlis jouent un rôle important dans l’écosystème du Yukon, en plus de constituer une attraction touristique et d’offrir des possibilités de chasse durable. » 

En revanche, John Burdek, président de la Commission de gestion de la faune aquatique et terrestre à l’époque, qui a participé à l’élaboration de ce plan, évoque plutôt l’idée de conservation de l’espèce. « Nous espérons que le Plan favorisera la création de partenariats et la prise de décisions qui assureront la conservation du grizzli et la protection de son habitat pour les générations futures », avait-il déclaré lors de la publication du document. 

Pour l’organisme Grizzly Bear Protection Yukon, des données non actualisées sur le nombre d’individus ne peuvent pas permettre au gouvernement du Yukon de savoir si l’espèce est en bonne santé. YG reconnait clairement dans son plan que les estimations actuelles de la population de grizzli et les taux de mortalité durables sont « peut-être dépassés », car calculés dans les années 1980.

En aout 2022, YG a publié une mise à jour sur le plan de surveillance du grizzli et des causes de mortalité. Au Yukon, le grizzli a un statut général de conservation   

« sensible ». Ce territoire n’ayant pas de législation sur les espèces en péril, les grizzlis ne sont donc pas désignés comme une espèce territoriale en péril. 

De plus, YG reconnait ouvertement qu’il n’y a pas de données actualisées sur le nombre d’individus. « Les informations spécifiques sur leur population sont limitées, car ils sont difficiles et couteux à étudier et à surveiller. La définition d’une population d’ours au Yukon n’est pas claire non plus ; par conséquent, les unités de gestion actuelles ne sont pas fondées sur des critères biologiques », peut-on lire dans le document. 

« Irresponsable et trompeur »

YG reconnait également que la chasse au trophée est un potentiel sujet de contentieux où le manque d’information peut nourrir des opinions pas toujours fondées. 

« Il existe des lacunes dans la compréhension ; beaucoup pensent que la chasse au trophée et la chasse par des non-résidents sont identiques ou que la chasse par des non-résidents est mal gérée. Les sciences sociales et d’autres approches peuvent être utiles pour définir la portée du problème et l’orientation future au Yukon », peut-on lire dans le Plan. 

Selon Mme Nowlan, l’absence de données est préjudiciable et reflète une inconscience généralisée. L’estimation du nombre d’individus avancée par le gouvernement du Yukon date de plusieurs décennies et ne peut pas refléter la situation actuelle. « Nous sommes maintenant en 2025, le même chiffre est utilisé depuis les années 1980, et nous trouvons cela totalement irresponsable et trompeur, car personne ne connait réellement la population de grizzlis », dénonce-t-elle. 

Le point de vue des pourvoyeurs

Le code de déontologie des pourvoyeurs du Yukon regroupe plusieurs lignes directrices que les compagnies de pourvoyeurs, membres de l’association des pourvoyeurs du Yukon (Yukon outfitters association), doivent suivre. Regroupant onze points, ce code succinct rappelle que toutes les personnes employées doivent respecter la loi sur la Faune du Yukon. 

Une pratique de la conservation saine de la faune doit être encouragée en tout temps d’après ce document. Pour YOA, le code de déontologie regroupe des « normes élevées d’éthique, tant au niveau individuel qu’au niveau de l’industrie qui doivent être maintenues. »

Trouver un consensus ? 

Dans un contexte de changement climatique rapide dans le Nord, combiné à une pression humaine plus forte ces dernières années, Mme Nowlan réclame un comptage du nombre d’individus dans le territoire. Selon elle, il est primordial de savoir de façon claire si la population de cette espèce a diminué ou pas. Trouver un consensus est aussi une des solutions de l’organisme, mais leur souhait ultime reste cependant de voir la chasse au trophée de grizzli et la chasse de printemps interdites. 

Cet article est le premier d’une série de trois à paraitre très prochainement.

Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des trois territoires canadiens : les journaux L’Aquilon, L’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.