
Des radis, du kale, du brocoli, des tomates et des concombres poussent dans la serre installée sur le site du centre de recherche.
L’hydroponie consiste à cultiver et à produire des plantes dans une eau enrichie en nutriments en remplacement de la terre. Plusieurs paramètres comme l’éclairage, le pH de l’eau, un système de chauffage et de CO2 sont automatisés et contrôlés quotidiennement par Shahid Islam, coordinateur de la recherche agricole au sein de KLRS.
Entièrement autonome, le conteneur est alimenté en partie par l’énergie solaire avec un système de secours au diésel. L’objectif de ce projet est de tester la viabilité de l’agriculture en environnement contrôlé afin d’assurer la sécurité alimentaire dans les régions arctiques et subarctiques. Il servirait aussi à renforcer les capacités nécessaires à l’exploitation de tels systèmes dans des régions éloignées.
Les graines sont plantées dans des carrés de fibres compostables sans terre, eux-mêmes placés sous des lampes de culture spécialisée pour permettre aux semis de démarrer. Selon le temps de germination de la plante spécifique, ce proccessus peut durer de quelques jours à quelques semaines. Une fois la pousse des semis entamée, ces derniers sont transférés de la station de culture vers leur propre espace au sein de l’unité où ils pousseront jusqu’à la récolte. Selon la plante, il faut compter entre une et quatre semaines pour produire des cultures telles que des épinards, de la laitue, du chou frisé, des fraises ou de la roquette.

Plusieurs jardinières ont ete securisées avec du grillage pour eviter que les lapins, abondants dans la région, ne détruisent les récoltes.
La récolte en quelques chiffres
De juin à début octobre 2025, 3 300 laitues, 350 plants de coriandre et 250 de persil ont été récoltés. Des jardinières placées à l’extérieur, sur le site de la station de recherche et une serre ont permis la collecte de radis, de kale, de brocoli, de tomate et de concombre. Enfin, 120 plateaux de micropousses de moutarde, aragula, radis, brocoli et de pois ont également été récoltés durant cette saison.
Le conteneur a été acheté, en 2020, auprès de l’entreprise ColdAcre qui a fermé ses portes le 18 octobre 2024. La corporation de développement Na-Cho Nyak Dun, copropriétaire l’entreprise a évoqué des difficultés financières où le secteur économique du Yukon en pleine mutation ainsi que l’accident survenu sur le site de la mine Eagle Gold sur le territoire de la Première nation Na-Cho Nyak Dun en juin 2024, ont mené à cette fermeture.
« Nous sommes fiers et déterminés à poursuivre nos efforts novateurs visant à créer des solutions en matière de souveraineté alimentaire pour les collectivités autochtones du Canada. Cependant, dans le domaine de l’innovation, toutes les initiatives ne sont pas couronnées de succès », a déclaré la corporation le 2 octobre 2024.

120 plateaux de micropousses de moutarde, aragula, radis, brocoli et de pois ont également été récoltés durant l’été 2025.
Conçu pour les conditions nordiques
Le système est conçu pour résister à des conditions difficiles et est équipé d’une isolation R60 et d’une entrée arctique. Cela permet d’offrir plus d’espace pour la récolte et le conditionnement des produits. Même si l’unité peut fonctionner dans les conditions hivernales du territoire, la ferme hydroponique ne fonctionne que quelques mois par année.
Lorsque ce projet a débuté, l’expérimentation était le moteur principal. « C’était un essai pour plusieurs raisons, afin de comprendre dans quelle mesure il serait possible de cultiver des légumes dans une unité comme celle-ci, hors réseau. Comme il faut produire notre propre énergie, il s’agissait donc en partie de voir combien d’énergie serait nécessaire pour la maintenir », explique Pauly Sias, conseillère agricole et responsable de liaison avec les collectivités à KLRS.
Alice Johnson, ainée de la Première Nation de Kluane s’approvisionne régulièrement à la ferme. Elle apprécie particulièrement l’automatisation de l’unité hydroponique : « Cela fait partie de la beauté de ce que cette unité peut faire, car c’est un environnement contrôlé. Vous savez, l’idée de nos jardins extérieurs, mère nature fait un excellent travail, mais vous ne pouvez pas vraiment modifier la température, l’humidité et les nutriments, alors que vous pouvez faire tout cela dans cette unité. Vous pouvez également cultiver bien plus que nécessaire, vous savez, de la laitue pour nourrir tout le monde dans la région de Kluane deux fois par jour, c’est une énorme capacité. »

La ferme hydroponique fonctionne en partie avec l’énergie solaire.
Les défis spécifiques au Nord
Malgré l’abondance des récoltes cette année, des défis majeurs demeurent. Les conditions météorologiques et la rigueur de la saison hivernale rendent compliqué un maintien à l’année de la ferme. Le cout élevé de l’énergie au Yukon reste une barrière non négligeable selon Pauly Sias, en particulier dans un environnement qui n’est pas relié au réseau.
« Une ferme comme celle-ci nécessite une alimentation électrique et un entretien 24 heures sur 24. Je pense donc que cela fait partie des enjeux importants pour les Premières Nations avec lesquelles nous travaillons : il ne s’agit pas seulement de comprendre ce que nous pourrions y cultiver et de nous enthousiasmer pour ce potentiel, mais aussi de déterminer dans quelle mesure cela est réellement faisable », explique-t-elle.
Au-delà des ressources nécessaires comme l’eau et l’électricité, l’un des obstacles reste la disponibilité de la main-d’œuvre. Depuis le lancement du projet, le vrai défi a été de trouver des personnes sur place, formées ou souhaitant être formées, pour gérer l’équipement.
« Nous aimons tous les légumes frais, mais il faut aussi que ce soit faisable. Personne ne vit vraiment ici, à part une poignée d’entre nous, les résidents. Il faut donc compter deux heures de trajet aller-retour pour inspecter les légumes. Et tout bon jardinier sait que ses légumes doivent être vérifiés plusieurs fois par jour », rappelle Mme Sias.
En effet, au nord, la Première Nation de Kluane se trouve à 70 km et au sud, le village de Haines Junction se trouve à 60 km.
Pauly Sias estime avant tout que ce projet a permis de changer les mentalités en montrant qu’il est possible de reproduire ce type d’initiative de façon plus simple et adaptée à chacun. Il a encouragé les gens à envisager la culture de leur propre nourriture selon leurs moyens et leurs envies. Ni la Première nation de Kluane, ni la Première nation de Champagne et Aishihik n’ont souhaité accorder une entrevue à Médias ténois.
Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des trois territoires canadiens : les journaux L’Aquilon, L’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.