le Vendredi 31 octobre 2025
le Jeudi 30 octobre 2025 15:57 Arctique

Projet Narvik : un modèle prometteur de souveraineté alimentaire au Nunavut [4/4]

Le projet Narvik, qui signifie « lieu de culture » en Inuktitut, est une ferme hydroponique située à Gjoa Haven au Nunavut.  — Courtoisie fondation Arctic Research
Le projet Narvik, qui signifie « lieu de culture » en Inuktitut, est une ferme hydroponique située à Gjoa Haven au Nunavut.
Courtoisie fondation Arctic Research

Depuis son lancement en 2019, le projet de ferme hydroponique, appelé Narvik, a connu une croissance significative. Située dans la collectivité de Gjoa Haven au Nunavut, cette ferme est cogérée par la fondation Arctic Research qui voit grand pour l’avenir.

Projet Narvik : un modèle prometteur de souveraineté alimentaire au Nunavut [4/4]
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L’approvisionnement énergétique est une combinaison d’énergie provenant du solaire et de l’éolien avec un générateur diésel de secours.

Courtoisie fondation Arctic Research

En seulement six ans, la quantité de légumes cultivés dans l’unité hydroponique a considérablement augmenté. En plus de la laitue des toutes premières récoltes, plusieurs autres cultures ont été testées depuis comme les tomates, la roquette (jugée trop épicée par les locaux), des fraises, des pommes de terre, des micropousses, de la menthe poivrée pour le thé et des poivrons. Des fleurs ont même été récoltées et distribuées pour la fête des Mères l’an dernier.  

Pour Tom Henheffer, président-directeur général de la fondation Arctic Research (ARF), la qualité des produits est excellente, bien que les quantités soient encore limitées dans cette phase de recherche.

Le projet Narvik – « lieu de culture » en Inuktitut -, se situe à 250 km au nord du cercle arctique. Il est exploité en partenariat avec ARF, Agriculture et agroalimentaire Canada, l’Agence spatiale canadienne, le Conseil national de recherches du Canada et le hameau de Gjoa Haven.

Cultiver ensemble 

Narvik emploie une dizaine de personnes, dont la majorité est originaire de Gjoa Haven. Ces employés ont tous reçu une formation sur place, car l’unité hydroponique se trouve à moins de 15 minutes de marche du village. 

D’après Tom Henheffer, Narvik est un bel exemple de projet communautaire en partenariat avec le hameau, l’association locale des trappeurs et le Conseil des personnes ainées. « Nous sommes dans un dialogue constant, ce qui nous permet d’avoir une idée générale des souhaits et des besoins des membres de la communauté », a-t-il expliqué lors d’une entrevue. 

Les récoltes sont distribuées gratuitement, principalement aux personnes ainées ou dans le besoin, identifiées par les employés. Lors d’évènements communautaires, la production de la ferme peut aussi être dédiée aux besoins collectifs.

« Notre objectif est d’atteindre environ 70 % d’énergie renouvelable au cours des prochaines années. Nous travaillons donc dans ce sens en ajoutant des capteurs et d’autres dispositifs, en ajustant les charges et en optimisant l’efficacité autant que possible », pense Tom Henheffer, président-directeur général de l’organisme.

Courtoisie fondation Arctic Research

Diversifier l’énergie 

Comme pour les fermes hydroponiques au bord du lac Kluane au Yukon et à Inuvik dans les TNO, cette unité fonctionne grâce à des panneaux photovoltaïques. Mais l’approvisionnement énergétique consiste plutôt en une combinaison d’énergie provenant du solaire et de l’éolien avec un générateur diésel de secours.

« Notre objectif est d’atteindre environ 70 % d’énergie renouvelable au cours des prochaines années. Nous travaillons donc dans ce sens en ajoutant des capteurs et d’autres dispositifs, en ajustant les charges et en optimisant l’efficacité autant que possible », détaille M. Henheffer.

La ferme fonctionne onze mois par an et l’efficacité énergétique est rendue possible grâce à la réflectivité de la neige et aux vents conséquents en hiver. En effet, pendant la noirceur hivernale, l’éolienne et la génératrice de secours fournissent suffisamment d’énergie pour faire fonctionner l’unité. Les panneaux photovoltaïques ont fait preuve d’une grande efficacité, en particulier durant la saison printanière où la neige réfléchit les rayons du soleil. 

L’idée selon laquelle l’énergie solaire ne fonctionne pas dans les conditions arctiques est un mythe, selon M. Henheffer. Même avec quelques heures d’ensoleillement, la neige qui a un pouvoir réfléchissant très élevé permet aux panneaux solaires d’avoir un très bon rendement, selon le directeur. 

Les récoltes sont distribuées gratuitement, principalement aux personnes ainées ou dans le besoin de la collectivité de Gjoa Haven.

Courtoisie fondation Arctic Research

Planifier le futur

Par ailleurs, ARF développe des volets supplémentaires visant à renforcer la souveraineté alimentaire comme la culture de plantes médicinales traditionnelles et la mise en place d’installations de transformation du gibier et des poissons. Pour les plantes médicinales, des défis demeurent, car il faut d’abord les localiser dans des zones parfois éloignées du village et assurer une culture sans contamination, et vérifier leur adaptabilité aux systèmes hydroponiques. Même si ces projets n’en sont qu’aux phases de réflexion et d’étude de faisabilité, des progrès ont été réalisés grâce à une collaboration étroite avec les ainés et les jeunes lors de camps éducatifs.

Narvik est actuellement le projet le plus avancé de ce type dans l’Arctique canadien. Bien que quelques autres initiatives existent, aucune ne combine à ce jour énergies renouvelables, soutien communautaire durable, diversité de cultures et encadrement logistique comme Narvik. 

Une réflexion de fond et un support permanent sont nécessaires pour faire fonctionner des unités hydroponiques dans les territoires. M. Henheffer, estime qu’un dialogue constant avec les membres de la communauté ainsi que des sources d’énergie renouvelables sont absolument nécessaires pour que ce type de projet soit couronné de succès. 

« J’ai entendu parler d’un certain nombre de projets similaires à celui-ci, mais qui ne sont pas alimentés par des énergies renouvelables et dont le fonctionnement est beaucoup plus couteux. Il faut recourir aux énergies renouvelables pour maintenir les couts à un niveau bas. L’organisme gestionnaire doit être flexible, sans se contenter de suivre le calendrier gouvernemental des projets de deux ou quatre ans, mais en s’engageant à long terme pour maintenir ses activités », pense-t-il.

Un modèle pour le Nord ?

Un soutien accru du gouvernement fédéral est fondamental, selon M. Henheffer. Narvik est cependant le plus bel exemple de la viabilité d’un projet de culture au cœur de l’Arctique en collaboration très étroite avec les habitants du village de Gjoa Haven. Tout en luttant contre l’insécurité alimentaire, Narvik offre des opportunités d’emplois précieuses dans le Nord.

« Il est possible de fournir des aliments nutritifs cultivés à un cout raisonnable qui ne dépendent pas de livraisons aériennes ou par bateau. C’est une solution vraiment possible et extrêmement intéressante. Il faut que le gouvernement fédéral et les territoires investissent dans les infrastructures pour que cela se développe dans d’autres communautés », rappelle M. Henheffer. 

Narvik agit finalement comme un modèle pionnier en matière d’agriculture arctique durable et de souveraineté alimentaire. Un soutien accru des gouvernements fédéraux et territoriaux permettrait d’élargir cette approche et de renforcer la résilience alimentaire à travers tout l’Arctique canadien.

Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des trois territoires canadiens : les journaux L’Aquilon, L’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.