le Lundi 24 novembre 2025
le Lundi 24 novembre 2025 8:36 Arctique

Contamination des anciens sites militaires : le réchauffement climatique ravive les risques

Selon le Bureau du vérificateur général du Canada, en mars 2023, il y avait 24 109 sites contaminés dans l’ensemble du Canada, dont 2 627 dans le Nord. — iStock/T Schofield
Selon le Bureau du vérificateur général du Canada, en mars 2023, il y avait 24 109 sites contaminés dans l’ensemble du Canada, dont 2 627 dans le Nord.
iStock/T Schofield

Une étude de l’université McGill, publiée le 19 aout dernier dans le journal Hydrological Processes, examine comment le changement climatique pourrait aggraver la propagation des contaminants d’anciens sites de la guerre froide dans l’Arctique canadien.

Contamination des anciens sites militaires : le réchauffement climatique ravive les risques
00:00 00:00

Jeffrey MacKenzie est coauteur d’une récente étude qui examine comment le changement climatique pourrait aggraver la propagation des contaminants d’anciens sites de la guerre froide dans l’Arctique canadien.

Courtoisie Alex Tran, McGill University

Le nombre de sites contaminés à travers l’arctique circumpolaire est choquant selon Jeffrey McKenzie, professeur de sciences de la Terre et des planètes à l’Université McGill à Montréal et coauteur de l’étude.

Selon le Bureau du vérificateur général du Canada, en mars 2023, il y avait 24 109 sites contaminés dans l’ensemble du Canada, dont 2 627 dans le Nord, c’est-à-dire au‑delà du 60e parallèle. « C’est un sujet qui m’intéresse beaucoup en tant que scientifique. Dans le cadre de mes recherches, je me concentre sur les eaux souterraines, l’eau qui est stockée et se déplace dans le sous-sol, car je pense que c’est un enjeu important. » 

Le site sélectionné dans le cadre de cette recherche se trouve sur l’ile de Brevoort, toute proche de l’ile de Baffin, et sur la ligne Distant Early Warning Line (DEW). Sous l’impulsion du gouvernement américain au début des années 1950, le gouvernement canadien a donc construit 63 stations radars à longue portée à travers l’Arctique, au-delà du 69e parallèle, dont 42 se trouvaient au Canada, explique M. McKenzie. 

Des vestiges de la Guerre froide

Dans le contexte de la Guerre froide, cette chaine de stations radars dans l’Arctique devait permettre de détecter des bombardiers russes provenant du pôle Nord.

C’est sur le site de l’ancienne station radar BAF-3 que l’équipe des chercheurs a étudié l’impact de l’augmentation des températures et des précipitations sur le pergélisol et la circulation des eaux souterraines. En effet, de vieux barils rouillés gisent encore sur le site et de potentielles fuites de carburants et de produits chimiques pourraient contaminer l’environnement.

« Ce site est unique puisqu’il est l’un des rares endroits où nous pouvons modéliser les processus hydrauliques changeants qui pourraient augmenter les risques de contamination dans le Haut-Arctique », a déclaré Selsey Stribling, titulaire d’un doctorat et coauteur de l’étude. « Nous étions très intéressés par cette idée et par la compréhension du comportement des eaux souterraines à cet endroit. »

Jusqu’à maintenant, les eaux souterraines du Haut-Arctique ont été peu étudiées en raison des couts extrêmes et des défis logistiques que cela représente.

Cela coute extrêmement cher de nettoyer les sites contaminés dans le Sud ou dans le Nord. Il faut comprendre ce qui se passe sur le site avant de commencer à investir de l’argent pour le nettoyer, car c’est une entreprise majeure.

— Jeffrey McKenzie, professeur de sciences de la Terre et des planètes à l’Université McGill

Des contaminants en migration

Une question réside pour le professeur : comment le changement climatique affecte-t-il la mobilisation de ces contaminants ? Cette région, très isolée dans l’Arctique, est soumise aux assauts du réchauffement climatique et la question est de savoir comment l’augmentation des températures et des précipitations ouvre de nouvelles voies de propagation des contaminants souterrains. 

Pendant l’été, plus chaud, les eaux souterraines peu profondes sont mobilisées et peuvent favoriser la migration des contaminants, peut-on lire dans l’étude.

À la lumière des résultats, M. MacKenzie a été surpris. Il a découvert que si les deux phénomènes se produisaient simultanément, c’est-à-dire s’il fait plus chaud et plus humide, cela modifierait fortement la quantité d’eau qui s’infiltre et circule dans le sous-sol. « Nous ne nous attendions pas à ce qu’il y ait une sorte de rétroaction entre l’augmentation des températures et l’augmentation des précipitations », explique le chercheur.  

Les résultats de cette étude constituent une première étape. La suite permettra une meilleure élucidation des facteurs qui régissent la dynamique et les mouvements des eaux souterraines ainsi que des implications sur la façon dont les contaminants pourraient également se déplacer dans le sous-sol, selon les chercheurs. 

Quels impacts pour l’environnement ?

Alors que le site fait aujourd’hui partie de la ligne de défense du Nord, il n’a pas été assaini depuis de nombreuses décennies. La compréhension des niveaux de pollution potentielle, par la modélisation, est une étape importante avant une phase de décontamination, explique M. MacKenzie.

« Cela coute extrêmement cher de nettoyer les sites contaminés dans le Sud ou dans le Nord. Il faut comprendre ce qui se passe sur le site avant de commencer à investir de l’argent pour le nettoyer, car c’est une entreprise majeure », pense M. MacKenzie.

Cependant, le chercheur se dit extrêmement préoccupé par les effets potentiels sur la biodiversité. En effet, la faune s’abreuve régulièrement à un lac d’eau douce proche du site. À l’heure actuelle, aucun contaminant n’a été détecté dans ce lac, « mais notre étude indique qu’il y a une probabilité plus élevée que cela se produise à l’avenir, ce qui renforce la nécessité de nettoyer ce type de site. »

Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des trois territoires canadiens : les journaux L’Aquilon, L’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.