Le mystère est levé.
Les 62 artéfacts autochtones, métis et inuits, exposés en 1925 au Vatican, et entreposés dans les collections ethnologiques des musées du Vatican, ont été rapatriés au Canada le 6 décembre dernier. Le kayak inuivialuit fait partie de ce lot auprès de treize autres artéfacts inuits. Ce kayak centenaire, décrit comme un objet rare, provient de l’Arctique occidental.
Les dirigeants de l’Assemblée des Premières Nations, de l’Inuvialuit Regional Corporation (IRC), de l’Inuit Tapiriit Kanatami et du Conseil national des Métis étaient présents sur le tarmac de l’aéroport de Montréal pour accueillir les objets considérés comme sacrés.
En 2017, l’Assemblée des Premières Nations (APN) a adopté une résolution pour le rapatriement international d’objets sacrés. Depuis, l’APN a plaidé en faveur du retour de ces objets culturels. C’est la Société régionale inuvialuit (IRC) qui a négocié avec succès le rapatriement des objets et insisté pour que ce kayak, d’une valeur inestimable, soit restitué.
« Nous sommes fiers qu’après 100 ans, notre kayak revienne dans la région visée par le règlement des Inuvialuit, a déclaré Duane Ningaqsiq Smith, président et directeur général de la Société régionale inuvialuit, dans un communiqué de presse daté du 6 décembre. On pense qu’il s’agit de l’un des cinq seuls exemplaires de ce type construits il y a plus d’un siècle. L’IRC souhaite le récupérer afin de profiter à la culture et aux communautés inuvialuit de l’Arctique occidental. »
Duane Ningaqsiq Smith, président et directeur général de la Société régionale inuvialuit, a partagé sa fierté suite au retour du kayak d’une valeur inestimable.
Don ou rapatriement ?
Pour la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), le pape Léon XIV a fait un « don ». Richard William Smith, archevêque de Vancouver, évoque le geste du pape comme un « cadeau offert librement » pour marquer un acte de réconciliation avec les peuples autochtones. Le terme de restitution ne s’applique pas selon l’archevêque, car un cadeau ne peut s’assimiler à une restitution.
D’après lui, ce geste de don est un signe d’amitié et d’une « relation renouvelée dans le respect mutuel entre l’Église et les peuples autochtones ».
Du côté des organisations autochtones, le terme de restitution est pourtant celui qui s’applique au retour de ces artéfacts. Même si ce rapatriement souligne le dialogue qui s’est engagé ces dernières années avec l’Église, l’IRC a bien mentionné qu’elle souhaitait récupérer le kayak afin que ce dernier profite aux communautés inuvialuites de l’Arctique occidental.
Cindy Woodhouse Nepinak, cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations, espère que le travail commun qui a permis le retour de ces objets sacrés servira d’exemple pour une « approche respectueuse du rapatriement et de la réconciliation qui permettra à davantage d’objets d’être rendus à leurs nations ».
Selon Victoria Pruden, présidente du Conseil national des Métis, il est fondamental que « chaque objet soit restitué en toute sécurité et dans le respect à la communauté à laquelle il appartient de droit. »
Un geste de réconciliation
Pour l’ensemble des organisations autochtones impliquées dans ce processus, la réconciliation est en marche avec l’Église, mais le chemin à accomplir est encore long. En effet, Victoria Pruden rappelle que la réconciliation est un travail continu, fondé sur les relations, la responsabilité et la recherche constante de la vérité, de la justice, de la guérison et de la dignité des peuples autochtones.
Le président de l’organisme Inuit Tapiriit Kanatami, Nathan Obed, pense que ce n’est que le début du cheminement vers la réconciliation.
De son côté, Pierre Goudreault, archevêque et président de la Conférence des évêques, a assuré de l’engagement indéfectible de l’Église en faveur de la réconciliation et de leur désir de soutenir les communautés autochtones dans l’accompagnement des jeunes générations pour la transmission et la valorisation de leur patrimoine.
En revanche, l’utilisation du mot « don » par le pape Léon XIV et la réitération de ce terme favorisent un discours problématique et mensonger dans ce geste de réconciliation selon Gloria Bell. « De nombreux biens autochtones, exposés en 1925, ont été volés par des missionnaires catholiques agissant sous l’égide du pape Pie XI afin de satisfaire sa cupidité et ses exigences pour une exposition missionnaire mondiale », nous a détaillé la professeure adjointe au Département d’histoire de l’art et d’études en communication à l’université McGill.
Selon son analyse, il est important de remettre en question et de rejeter le récit de la bienveillance du pape afin de découvrir la vérité. « Le pape Léon XIV doit réparer les dommages causés par ce récit erroné et permettre une véritable guérison et réconciliation. Ce retour est une étape cruciale pour commencer à reconnaitre les souverainetés autochtones. En revanche, la CECC doit veiller à ne pas perpétuer le préjudice », pense l’autrice de l’ouvrage Eternal Sovereigns, dans lequel elle développe son raisonnement.
Des milliers d’objets autochtones toujours au Vatican
L’exposition missionnaire pontificale de 1925 qui réunissait 100 000 objets des cinq continents a attiré plus de 1M de visiteurs en 13 mois. Ce fut la plus grande exposition missionnaire catholique pour laquelle le pape Pie XI avait bénéficié de la coopération du dictateur italien Benito Mussolini. Pour Mme Bell, cette exposition perpétuait l’idée d’une hiérarchisation des races et des pratiques artistiques.
Aujourd’hui, des milliers d’objets appartenant aux autochtones se trouvent toujours dans les collections des musées du Vatican, alors « qu’ils devraient être rendus à leurs propriétaires et confiés aux soins des autochtones », pense-t-elle.
Par ailleurs, Mary Simon, gouverneure générale du Canada, espère que ce rapatriement constituera un précédent favorisant la restitution d’un plus grand nombre d’artéfacts, dans le cadre du processus de réconciliation en cours. « Pendant trop longtemps, ces artéfacts ont été séparés des communautés autochtones auxquelles ils appartiennent. Aujourd’hui, ils leur ont été rendus pour insuffler une nouvelle vie à nos récits, à nos enseignements et à nos démarches de guérison. Je suis reconnaissante envers Sa Sainteté le pape Léon XIV d’avoir fait preuve de leadeurship en donnant suite à ces discussions antérieures. Ce geste fait honneur à la réconciliation et au travail formidable accompli depuis de nombreuses années par les Inuits, les Premières Nations et les Métis », conclut-elle.
Plus de détails sur le voyage depuis le Vatican
Les caisses contenant les 62 objets culturels provenant du Vatican ont été chargées tôt samedi matin dans une soute à Francfort, en Allemagne, à destination de Montréal. Elles avaient été transportées par camion de Rome à Francfort la semaine précédente pour être chargées à bord d’un Boeing 777 d’Air Canada capable de transporter le kayak inuvialuit de 4,4 mètres. À l’arrivée, la cargaison a été acheminée vers le Musée canadien de l’histoire à Gatineau, où elle est arrivée samedi dans l’après-midi. Elle y restera avant que les objets inuits, dont le kayak, ne soient déballés et examinés pour la première fois la semaine prochaine par des experts et des chefs inuits.
Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des trois territoires canadiens : les journaux L’Aquilon, L’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.
