Les citoyens d’Iqaluit se souviendront peut-être encore de « car fourteen », ce chauffeur de taxi jovial qui étonnait ses clients inuit par sa connaissance de l’Inuktitut. D’autres se souviendront mieux de « Kimo », le garçon de table de l’hôtel Discovery qui n’a jamais renoncé à utiliser sa bicyclette dans le Nord, même à -40°c. Il s’agit en fait d’un seul et même personnage. Karim Rholem, de son vrai nom, a grandi près de la ville de Tanger au Maroc et s’est installé à Montréal depuis maintenant une dizaine d’années. Après un séjour de deux ans au Nunavut, qui l’a amené dans des communautés aussi éloignées que Arviat et Grise Fiord, il présente du 29 janvier au 1er mars prochain à la Maison de la Culture Côte des Neiges à Montréal une exposition photographique sur le vêtement inuit traditionnel.
L’exposition comporte une vingtaine de portraits presque grandeur nature qui ont été photographiés entre 1994 et 1996 dans cinq communautés différentes du Nunavut, soit Arviat, Coral Harbour, Arctic Bay et Iqaluit et aussi Grise Fiord sur l’île d’Ellesmere. L’auteur a privilégié le grand format pour créer un contact plus intime entre le spectateur et les personnages.
Ceux-ci sont photographiés en noir et blanc devant une toile de fond noire pour mieux retenir l’attention du spectateur sur l’expression des yeux et des visages. Le procédé rappelle la technique employée par Edward Sherrif Curtis pour photographier les Autochtones nord-américains au tournant du siècle dernier. « J’ai toujours adoré les portraits de Curtis. C’est le personnage qui parle et rien d’autre en arrière. Le fait de mettre une toile en arrière c’est justement pour bloquer tout ce qui se passe autour et se limiter au personnage. Mes personnages ont vécu des vies traditionnelles et il y a une fierté culturelle qui se dégage à travers ces habits-là et à travers les regards de ces gens-là. »
Pour arriver à prendre toutes ces photos, Kimo a dû se familiariser avec les manières de vivre des Inuit et se faire accepter par les communautés. « Dans la culture inuit, habituellement on ne cogne jamais à la porte. On rentre, on s’assoit, on prend un thé, on fait ce que les gens font. On a pas besoin de connaître les gens. Quand quelqu’un cogne à la porte, on sait qu’il s’agit d’un étranger. Ça m’a pris beaucoup de temps à connaître un peu la culture inuit. C’est sûr qu’au début j’avais parfois de la difficulté à comprendre les gens parce qu’ils ne vivent pas de la même façon que les Québécois, les Marocains, les Italiens… »
L’importance des liens familiaux et le sens du partage ont parfois rappelé à Kimo son propre univers culturel où il a vécu jusqu’à l’âge de 18 ans dans un petit village tout près de la ville de Tanger au Maroc.
« La famille inuit est très, très proche et moi j’ai été élevé dans un milieu un peu semblable, même si la culture nord-africaine est très différente de la culture inuit. Il y avait des ressemblances. Par exemple la nourriture est partagée par tout le monde. C’est quelque chose qui lie les gens, c’est très important, la nourriture n’est pas servie dans des assiettes individuelles. Au Maroc, quand on sert un couscous ou quoi que ce soit, les gens vont se mettre autour de la table et on va manger tous ensemble dans un grand plat. Chez les Inuit, c’est la même chose sauf qu’au lieu du couscous, c’était du béluga ou un phoque ou un morse ! »
Même à venir jusqu’à ce jour, l’habit traditionnel inuit reste le meilleur choix pour affronter pendant plusieurs jours les rigueurs de l’hiver arctique. Il ne s’agit donc pas de costumes folkloriques qu’on sortirait pour les grandes occasions mais bien « d’outils de travail » prend soin de préciser Kimo.
« T’es là dehors à -40°, -50°C, t’es en train d’attendre un phoque, parce que le phoque c’est la nourriture que tu vas ramener à ta famille, t’es là dehors pendant une journée, deux jours, trois jours. Si t’es pas bien habillé, tu vas crever ! Ces chasseurs-là, ils voient leur habit comme un outil. »
Kimo parle de l’habillement des chasseurs comme le résultat d’un pacte sacré entre le chasseur, son gibier, la communauté qui en tire sa subsistance mais aussi la femme qui fabrique les vêtements. On mange d’abord le caribou, l’ours ou le phoque et ensuite on le porte. « Il y a comme un cercle sacré autour de tout ça. »
Prochaine destination ? Kimo a déjà commencé à rêver à d’autres aventures, cette fois beaucoup plus près de son pays d’origine et dans un climat radicalement différent. Il se voit déjà partager la vie nomade des Hommes bleus du désert en plein Sahara !