L’alphabet syllabique a la préférence des personnes âgées et les enfants le trouvent facile à apprivoiser
Le ministre de l’Éducation, Culture et Formation, Jackson Lafferty, annonçait fin février une injection de 3,5M$ dans la revitalisation des langues autochtones. Le Centre Goyatiko est une de ces institutions qui œuvrent à leur redonner un élan.
« Nous effectuons des recherches sur les langues dénées, explique le phonologiste Alessandro Jaker, nous transcrivons à l’écrit des histoires de personnes âgées pour créer du matériel pédagogiques et nous numérisons des archives. » Le Goyatiko donne également quelques cours de langues et met sur pied des activités culturelles. Mais, par-dessus tout peut-être, il créée du matériel pédagogique qui appuie l’enseignement dans les écoles.
Polyglotte invétéré, Alessandro Jaker a reçu une bourse d’études postdoctorale pour les recherches dans les régions polaires de la National Science Foundation. Selon lui, encore aujourd’hui, le manque d’outils pédagogiques nuit à la revitalisation des langues autochtones. Le Goyatiko développe du matériel pour le tlicho et le chipewyan, avec des photos, des jeux, etc. Du 10 au 19 mars, le Goyatiko donnait à Dettah une formation à un peu moins d’une dizaine de personnes, dont quelques enseignants, pour la première fois en deux ans. « Nous leur montrons comment utiliser notre matériel dans l’enseignement, de dire Alessandro Jaker, ajoutant que beaucoup des outils développés par le Goyatiko auraient du être mis au point il y a 30 ans. Il y a une méthode pour l’apprentissage des langues dénées, qu’on devrait suivre de l’élémentaire jusqu’au lycée. Mais elle est très générale et vague, par exemple sur les conjugaisons. Avec Emerence Cardinal, nous avons publié un livre de conjugaison du tlicho et du chipewyan en 2012, le premier à ma connaissance. On ne sait pas comment conjuguer les verbes! » Le manque d’outils pédagogiques, déplore Alessandro, oblige les enseignants à tout créer eux-mêmes.
Autres éléments en défaveur de la revitalisation des langues autochtones : la parcimonie avec laquelle elles sont enseignées, qui ne permet pas souvent d’aller plus loin que l’apprentissage du nom des couleurs et des animaux, et le manque d’uniformisation des méthodes. Des comités ont travaillé dans les années 80 à la standardisation des langues autochtones, par exemple l’orthographe, mais avec un succès relatif dans la pratique. Les barrières entre les différents peuples dénés ont aussi joué un rôle, bien qu’elles se soient atténuées avec le temps.
Alphabets
Parmi les activités amorcées par le Goyatiko, on retrouve une chorale, qui se réunit les mardis au N’dilo Learning Centre. On y pratique des chants extraits de Prières, Catéchisme et Cantiques, un manuel datant de 1904 et écrit en chipewyan syllabique. On connaît peu de choses sur cet alphabet; on spécule qu’il aurait été introduit chez les Dénés par des missionnaires catholiques au début du XXe siècle. Il exerce une concurrence avec l’alphabet roman, dualité qui ne doit pas simplifier l’apprentissage des langues. « Aujourd’hui, analyse Alessandro Jaker, on utilise principalement l’alphabet roman, mais on cherche à réintroduire le syllabique. Les Dénés considèrent qu’il fait plus autochtone que le roman et des personnes âgées ont insisté pour qu’on le conserve. Il est utilisé à Lutsel K’e pour apprendre le chipewyan aux enfants et ils l’aiment beaucoup; ils le trouvent plus facile à apprendre que le roman. Il est par contre moins précis. » Un atelier sur l’alphabet syllabique, principalement pour des personnes âgées, est en gestation. On ne sait pas encore s’il se donnera à Yellowknife ou à Fort Resolution.
Selon le Bureau des statistiques des Territoires du Nord-Ouest, le pourcentage de la population de 15 ans et plus des TNO parlant une langue autochtone est passé de 55,6 % à 38 % entre 1989 et 2009. Alessandro Jaker est malgré tout convaincu que la tendance n’est pas irréversible et qu’on peut rescaper des langues autochtones aux Territoires du Nord-Ouest. Il donne comme exemple le yurok, en Californie, qui n’avait plus un temps que six locuteurs alors qu’ils sont aujourd’hui une vingtaine.