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le Jeudi 26 juin 2014 11:19 | mis à jour le 20 mars 2025 10:39 Autochtones

Portrait Un engagement en profondeur

Portrait Un engagement en profondeur
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Je ne savais pas dans quoi je m’en allais, je voulais simplement que ça soit fait

« À faire la collecte de données, j’ai l’impression de quantifier des larmes. Mais je vois leurs figures, j’entends leurs voix. » Ces paroles, c’est Maryanne Pearce qui les a prononcées à l’occasion de ses conférences à Yellowknife. Reçue par l’Association des femmes autochtones des Territoires du Nord-Ouest, Maryanne Pearce est venue parler de la banque de données qu’elle a créée sur les femmes disparues et assassinées au Canada. Cette banque de données mettait notamment en relief la surreprésentation — à 25 % — des Autochtones parmi les femmes disparues ou assassinées depuis 1950, alors qu’elles ne constituent que 2 % de la population féminine canadienne. Les recherches de Pearce ont alimenté celles de la GRC, qui les corroborées sur cet aspect.
L’engagement de Maryanne Pearce a commencé il y a plusieurs années, alors qu’elle a entendu parler de ce dossier. « J’étais horrifiée, explique-t-elle, et je me demandais ce que je pouvais faire. Je ne suis ni policière ni travailleuse sociale. Mais je pouvais faire de la recherche, et celle-ci m’a amenée à me concentrer sur les femmes autochtones et les prostituées, parce qu’elles sont les plus vulnérables. »

La recherche
La banque de données de Maryanne Pearce est devenue l’an dernier sa thèse de doctorat à l’Université d’Ottawa sous le titre An Awkward Silence: Missing and Murdered Vulnerable Women and the Canadian Justice System. La University of Manitoba Press en tirera deux livres, le premier portant sur les femmes autochtones, le second sur les tueurs en série et les travailleuses du sexe. Car la banque de données de Maryanne Pearce couvre ces sujets et bien d’autres; en fait, elle a plusieurs banques de données, dont une sur les cas de disparition qui ont connu un dénouement heureux (la happy data!), et elle a travaillé sur des cas analogues en Angleterre et aux États-Unis.
Lors de ses conférences, celle qui est fonctionnaire au quotidien a montré le fonctionnement de sa banque de données au public; la chose est extrêmement élaborée, avec des indications sur les circonstances, les lieux, etc. Les Autochtones eux-mêmes pourraient-ils avoir une implication dans la disparation et les assassinats de femmes autochtones? Maryanne Pearce a dit ne pas faire de recherches sur les meurtriers. Elle a par contre mentionné que les Autochtones étaient aussi surreprésentés en prison, ce qui est un élément de réponse; les statistiques démontrent en outre que dans un grand nombre de cas, les victimes connaissaient leur meurtrier.

Collaboration
Maryanne Pearce travaillait dans un relatif anonymat jusqu’à ce que, rappelle-t-elle, un petit article dans le Winnipeg Free Press fasse boule de neige et attire l’attention des médias sur son travail à la grandeur du pays. La Gendarmerie royale du Canada s’est à son tour intéressée à son travail, sollicitant la permission d’utiliser sa banque de données. « Ils avaient déjà tout lu ma thèse, relate Maryanne Pearce. Je pensais qu’ils allaient faire un apport interne. J’ai été surprise qu’ils dévoilent publiquement le résultat de leur étude. » Pour cette transparence et pour la profondeur de son enquête, Maryanne Pearce considère que la GRC mérite de gros applaudissements. « Ce qu’elle a fait, personne d’autre ne pouvait le faire. »
La GRC a remercié Pierce publiquement malgré des désaccords sur les statistiques. Mais la chercheuse balaie du revers de la main toute controverse : « Ce n’est pas une question de chiffres, c’est une question de vies perdues. » Parmi les solutions qu’elle préconise pour en sauver davantage : une concertation entre la police et les services sociaux, une coordination nationale, une banque d’ADN pour les personnes disparues et pour les restes ainsi qu’un système d’identification des fugueurs chroniques et des jeunes à haut risque.
Maryanne Pearce a déjà fait preuve d’engagement en faisant bénévolement des déclarations de revenus pour celles qui se trouvent dans des refuges pour femmes. Aujourd’hui, sa banque de données, avoue-t-elle, est devenue une obsession, douloureuse au point où elle ne veut pas faire d’entrevues avec des proches des victimes pour ne pas sombrer dans la déprime, au point où elle s’implique dans le sauvetage de chiens abandonnés pour avoir des résultats positifs plus tangibles. Quand elle s’est engagée dans cette cause, confesse-t-elle, elle ne savait pas quelle ampleur cela prendrait; elle voulait simplement que ça soit fait. »