le Samedi 19 avril 2025
le Jeudi 25 février 2021 15:25 | mis à jour le 20 mars 2025 10:41 Autochtones

Goyatii` weghonihoèto*

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Pour souligner le mois des langues autochtones, L’Aquilon a assisté à un cours de tlicho, l’une des neuf langues autochtones officielles des Territoires du Nord-Ouest. Rencontre ou, plutôt, elèts’ehdèe.

L’ambiance du cours de tlicho, donné par le Collège nordique francophone de Yellowknife, est détendue. Le courant passe entre l’enseignante, Georgina Franki, la responsable du programme, Rosie Benning, et le petit groupe d’étudiants débutants, chacun devant son écran.

« Chi k’è-k’àbats o`o` ets’et’oò Gameti`ts’o » ou, en traduction littérale, « Nord-Est Gamèti pagayer à », figure parmi les phrases du cours de ce soir, qui se donne en anglais. Les étudiants apprennent à indiquer des directions. Mais pas pour se rendre à l’épicerie du coin : l’une des composantes du cours est la culture. Ils doivent diriger des canoteurs, en s’inspirant du périple annuel du Sentier de nos ancêtres. Lors de ce rassemblement traditionnel, des Tlichos pagaient jusqu’à un site ancestral et des ainés transmettent leurs connaissances aux plus jeunes.

Chaque leçon contient trois objectifs : un objectif fonctionnel, comme de donner des directions, un objectif linguistique et un autre culturel, explique Rosie Benning.

Lors de l’exercice, les étudiants interrogent l’enseignante autochtone. Elle hésite parfois à donner une réponse précise.
« J’apprends constamment moi-même », glisse-t-elle. S’ensuivent des discussions sur la syntaxe et la grammaire.

L’enseignante Georgina Franki, 57 ans, est née à Behchoko`. C’est sa grand-mère qui l’a élevée. « Grâce à elle, je n’ai perdu ni ma langue ni ma culture », dit-elle fièrement. Mais, avec sa grand-mère, elle n’a appris qu’à parler le tlicho. « J’ai appris à le lire et à l’écrire en lisant la Bible », dit-elle. C’était dans sa quarantaine. Elle enseigne au Collège nordique depuis avril 2019.

Le tlicho, qui appartient à la famille linguistique déné-athapascane, est la langue autochtone la plus parlée aux TNO avec 2253 locuteurs, selon les données de 2019 compilées par le Bureau de la statistique des TNO. Bien que l’on compte des locuteurs tlichos dans presque toutes les collectivités du territoire, dont 680 dans la région de la capitale, l’essentiel se retrouve dans les collectivités tlichos où la langue est parlée par 55 % des résidents.

« Il faut parfois être créatif », confirme Rosie Benning, donnant en exemple le mot « avocat » qu’ils ont dû créer, car il n’existait pas. Les ressources didactiques sont limitées en tlicho, dit-elle, et il y a peu d’ouvrages sur lesquels appuyer leur cours. Elle donne en exemple le dictionnaire vivant en ligne de l’Université de Victoria, dont la recherche ne fonctionne pas très bien. « On est en train de créer un cahier d’exercices pour parler et lire le tlicho », ajoute-t-elle. Le projet qui devrait aboutir fin mars est financé par Patrimoine canadien.

La Loi sur les langues officielles des TNO reconnait, en plus de l’anglais et du français, neuf langues autochtones : le dënesuliné (chipewyan), le nehinawewin (cri), l’esclave du nord, le déné zhatié (esclave du sud), le gwich’in, l’inuinnaqtun, l’inuktitut, l’inuvialuktun et le tlicho. « Cette loi […] vise à préserver, à enrichir et à revitaliser les langues autochtones », peut-on lire sur le site internet du Bureau du commissaire aux langues des Territoires du Nord-Ouest.

Georgina Franki a à cœur sa langue et œuvre à la préserver. « J’enseigne à mes étudiants comme s’ils étaient mes enfants. Je m’acharne jusqu’à ce qu’ils prononcent correctement chaque son », dit-elle en riant.

« Je m’occupe de la pédagogie du cours en collaborant avec Georgina », spécifie Rosie Benning, qui coordonne l’école de langues depuis un an. « J’utilise mes compétences en enseignement du français pour créer le squelette du cours. Il faut tout adapter, car, par exemple, certains adjectifs en français sont des verbes en tlicho », dit-elle. Ses nouvelles connaissances du tlicho s’ajoutent au vietnamien, à l’anglais et au français qu’elle parle déjà. « Je suis fière de contribuer à la vitalité des langues et des cultures qui caractérisent les TNO, poursuit-elle. Je trouve que ce projet contribue à la réconciliation en permettant au public d’en apprendre plus sur la culture autochtone, mais aussi aux jeunes autochtones de revitaliser la culture et la langue de leurs ancêtres. »

Le Collège nordique offre des cours de tlicho depuis 2016 et 149 personnes les ont suivis jusqu’à présent. « Il est difficile de trouver des enseignants de tlicho qualifiés en enseignement », écrit la directrice générale du Collège, Josée Clermont, dans un courriel, d’où l’approche d’accompagnement. « L’objectif est que l’enseignante autochtone devienne autonome, poursuit-elle. C’est une forme de parrainage. Depuis que nous utilisons cette approche, le taux de satisfaction des apprenants et le taux de participation ont largement augmenté. »

Comment le Collège nordique est-il venu à offrir un cours de tlicho ? « On offre des formations sur mesure, répond sa directrice générale. Une francophone a communiqué avec nous et nous a demandé d’organiser un cours de tlicho pour un groupe de francophones, de jeunes professionnels pour la plupart récemment arrivés aux TNO. Ces derniers souhaitaient apprendre la langue et la culture. Nous avons donc offert un premier cours. Plusieurs individus parmi ce groupe ont souhaité continuer à un deuxième niveau. » Et c’est ainsi que, de fil en aiguille, le cours a pris forme.

Les apprenants des cours de tlicho bénéficient aussi, depuis l’an dernier, d’un programme intergénérationnel et interculturel qui les jumèle à des ainés dénés. Ils font des activités tout en pratiquant la langue. Ce programme de mentorat a beaucoup de succès, d’après Josée Clermont.

Les étudiants viennent de tous les horizons. « On a des gens qui veulent apprendre la langue locale, des fonctionnaires ou des Autochtones qui veulent approfondir leurs connaissances », donne la coordonnatrice en exemple.

En tout, 26 étudiants sont inscrits cet hiver aux cours de débutants, niveau 1 et 2. Ce soir, cinq font face à leur écran. Ce qui motive Angélique Ruzindana Umunyana, originaire du Rwanda et établie à Yellowknife depuis 15 ans, c’est le respect. « Je me sens comme une invitée en habitant ici. J’aimerais pouvoir parler avec les Autochtones, surtout les ainés », dit-elle.

Sarah Woodman, arrivée aux TNO en 2019, administre quant à elle des toponymes pour le gouvernement et comprendre le tlicho l’aide dans son travail. Pour Michael Mifflin, après avoir vécu dix ans à Iqaluit et avoir appris l’inuktitut, ça allait de soi d’apprendre une langue dénée. Suzanne Nogue, dans les Forces armées, voulait avoir une meilleure compréhension de la communauté où elle vit depuis environ deux ans.

Quant à la raison de Kynyn Doughty, originaire d’Ontario et arrivée en 2017 aux TNO, elle va bientôt se pointer le bout du nez. « Mon partenaire et moi attendons un bébé. On vit à Dettah. Il est d’ici et parle wii`lii`deh, un dialecte du tlicho. Je veux apprendre la langue pour la transmettre à notre enfant. »

De quoi donner espoir à tous ceux qui s’investissent dans la revitalisation des langues autochtones.

« Masi`cho, nets’aia s`o`o` », se disent-ils en fin de cours. Merci, à la prochaine.

 

*Pour l’amour de la langue