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le Vendredi 6 février 1998 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:35 Culture

La fourrure de phoque reprend du poil de la bête à Iqaluit!

La fourrure de phoque reprend du poil de la bête à Iqaluit!
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Ceux qui s’y connaissent savent que la boutique D.J. Sensations d’Iqaluit présente la plus grande collection de bijoux inuit au Canada. Depuis plusieurs années, madame Claire Kennedy, propriétaire de la boutique avec son mari Stuart, se spécialise dans l’achat de ces pièces d’artisanat local provenant de toutes les régions du Nunavut et fabriquées à partir de différents matériaux comme l’ivoire, la corne de caribou ou de boeuf musqué, l’argent, l’or… Mais pour la deuxième saison consécutive, madame Kennedy innove! Elle offre à sa clientèle une collection de vêtements de fourrure en phoque!

On peut maintenant trouver dans la petite boutique de l’édifice Brown à Iqaluit des vestes, des mitaines, des casquettes et même des sacs à dos produits par des couturières de la ville.

Tous ces articles sont fabriqués à partir de peaux de phoques à anneaux (phoca hispida), élément essentiel de la diète des Inuit d’un bout à l’autre de l’Arctique canadien. Ce n’est pas d’hier que les Inuit chassent le phoque à anneaux.

Par exemple, c’est l’épaisse couche de graisse de ces mammifères marins qui permettait aux anciens de chauffer leur igloo avec la Qulliq, la lampe en stéatite. Traditionnellement la peau servait aussi à confectionner des vêtements, des qammiks (bottes), et aussi, entre autre chose, à recouvrir l’armature du kayak.

La peau du phoque à anneaux a longtemps servi à fabriquer des bottes dites de loup-marin jusqu’à ce que l’Europe décide de décréter un embargo sur les peaux de bébé-phoques en 1983. Cet embargo européen avait frappé les communautés du Nord canadien comme un coup de fouet, faisant bondir les statistiques de dépendance des individus à l’État et le taux de suicide chez les chasseurs inuit.

C’est qu’avant 1983, les quelques revenus de la vente des peaux de phoque permettaient aux chasseurs de défrayer les coûts des équipements nécessaires à la chasse pour le reste de l’année. Une Commission royale d’enquête sur la chasse au phoque au Canada, dirigée par le juge Albert H. Malouf, remettait son rapport en 1986. On y recommandait de développer une industrie canadienne de transformation des produits du phoque.

En 1994, le gouvernement territorial mandatait un consultant privé, M. Robert Trudeau, pour étudier les possibilités de mise en marché des produits du phoque après quelques tentatives infructueuses du Ministère du développement économique de démarrer une industrie de fourrure à Broughton Island.

C’est suite à cette volumineuse étude qu’une nouvelle expérience pilote fut amorcée à Iqaluit à l’hiver 1995-96 sous la direction de madame Valerie Kosmenko pour produire des articles en fourrure de phoque. Devant le succès de cette première année d’opération, le Ministère des ressources renouvelables et du développement économique renouvela sa subvention d’environ $70 000 pour une deuxième saison en 1996-97.

Pour la présente saison de 1997-98, c’est la compagnie Qasigiaq Designs qui a obtenu le contrat de pousser plus loin l’expérience. Qasigiaq Designs est la propriété de madame Bernadette Makpah à 50% et de D.J. Sensations qui détient la balance des actions.

En pleine saison de production, l’atelier emploie 2 couturières sur place tandis que quatre autres travaillent à la maison. « En décembre, nous explique Claire Kennedy, on a manqué de vestes. On se rend compte que la demande est là. Dans le moment, nous avons plusieurs commandes à l’avance pour des manteaux et des vestes. Tout le monde est enthousiaste et nous sommes très confiants pour l’avenir. »

Toutes les peaux pour fabriquer ces articles proviennent de chasseurs du Nunavut qui peuvent maintenant vendre ce sous-produit de leur chasse au Ministère des ressources renouvelables et du développement économique. Ces peaux sont ensuite envoyées au tannage à North Bay en Ontario, chez Nipissing First Nation Dressers. Les plus belles conserveront leurs couleurs naturelles, les autres reviendront teintes en noir, bleu, vert, rouge, aubergine…

C’est à partir de là que Bernadette Makpah et son équipe les convertiront en produits finis, tandis que Claire Kennedy verra à la mise en marché de tous ces articles de fourrure.