« Le prévaricateur a compissé les documents compromettants! » Je vous entends dire : « Au secours, de quoi parle-t-elle? Elle radote. Elle ne veut pas que le monde comprenne ce qu’elle écrit! » Si c’est ce que vous vous êtes dit, j’ai eu raison d’écrire ça. Si vous vous êtes dit : « Mon dieu que je suis ignorant! », j’ai eu raison. Si vous avez compris cette phrase sur-le-champ, vous m’impressionnez.
Cette phrase (qui est de mon cru, soit dit en passant), je n’aurais jamais pu l’écrire il y a quelques jours pour la simple raison que je ne l’aurais pas comprise. Je pouvais bien me douter de ce que compisser voulait dire, mais prévaricateur, alors là, aucune, mais aucune idée. J’ai rencontré ces beaux mots dans un livre (pas dans la même phrase) et comme je ne voulais pas lâcher le fil de ma lecture, j’ai continué comme si de rien n’était. Bien sûr, il y a un contexte et je pouvais bien me douter du sens, mais cela me chicotait. Sans relâche, ces mots me revenaient à l’esprit. N’y tenant plus, je me suis levée et suis allée fouiller dans le dictionnaire. Ouf! Je comprends maitenant ces mots! Ça n’a pas changé ma vie, me direz-vous. Bien au contraire! Ç’a tellement changé ma vie, que j’en écris un article. En fait, ce que je tente de dire ici, c’est que souvent, le dictionnaire est un livre oublié, pas assez utilisé. À la lecture d’un livre, il arrive souvent que des mots inconnus sont utilisés; par paresse, par négligence, parce qu’on se fie à son intuition, on laisse faire la recherche dans le dico. Le plaisir de découvrir de nouveaux mots est dépassé par le plaisir de lire et de ne pas mettre un frein, si court soit-il, à un récit passionnant. On cherchera plus tard. Quelques pages plus loin, ils sont déjà oubliés ces mots nouveaux non cherchés. Par contre, les mots qu’on a pris la peine de chercher, dont on a découvert le sens inconnu, prennent leur place avec les mots connus, et le vocabulaire s’enrichit. Règle générale, les gens vont s’enquérir du sens d’un mot qui fait partie du jargon de leur métier, de leur profession, car sinon, ils risquent de passer à côté de connaissances essentielles à leur travail. Mais quand il s’agit d’un roman, d’un essai, d’un récit historique ou simplement d’un article dans le journal ou une revue, ils négligent de consulter le dictionnaire. Pourtant, c’est tout un monde inconnu que renferment ces livres!
J’ai déjà parlé, dans un article précédent, du plaisir d’utiliser les grands mots. Pas pour impressionner, mais parce que souvent, il s’agit du terme juste, précis et que l’utilisation d’un grand mot ramasse ce que devrait faire une phrase explicative. C’est bien de pouvoir expliquer en plusieurs mots ce qu’un seul peut résumer, mais s’il existe ce mot juste, précis, pourquoi ne pas l’utiliser? Le dictionnaire que vous avez à la maison devrait être usé, les pages racornies tellement il a servi. Bien sûr, étant donné mon travail et ma passion des mots, j’ai plusieurs dictionnaires. Je les change souvent, car la langue change vite et évolue à un rythme tel qu’un dictionnaire de plus de cinq ans est vétuste. Ils trônent dans mon salon, bien en évidence, à portée de la main. On ne dira jamais assez le plaisir procuré par ces gros livres dodus, replets de connaissances et de bon usage.
Je vous laisse pour aller fouiller dans mes livres et si vous vous attendiez à ce que je vous livre le sens de mon prévaricateur qui compisse, vous vous trompez royalement et, pour ma part, je me suis aussi trompée sur votre compte : je croyais vous avoir convaincu de vous précipiter sur le dictionnaire. Allez, à vos marques, go…!