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le Vendredi 28 février 2003 0:00 Culture

Langue et identité Moi et ma langue

Langue et identité Moi et ma langue
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La langue des Inuits de la terre de Baffin, l’inuktitut, doit s’installer confortablement dans l’arène économique pour survivre. C’est l’une des conclusions à laquelle sont parvenus l’anthropologue Louis-Jacques Dorais et la linguiste Susan Sammons, dans une étude publiée dernièrement par le Groupe d’études inuit et circumpolaires et le Nunavut Arctic College. L’étude, Language in Nunavut : Discourse and Identity in the Baffin Region, détermine l’espace occupé par trois langues parlées du Nunavut, l’inuktitut, l’anglais et le français. Les chercheurs ont sondé le terrain pour déterminer quels rapports entretiennent les individus avec ces langues.

Pour la population inuite, l’anglais est une langue essentiellement pratique. Utilisée sur le marché du travail, principal pont avec le reste du Canada, cette langue est couramment parlée par la population du Nunavut, selon Louis-Jacques Dorais. « L’anglais, c’est la langue la plus utile pour beaucoup de gens. »

En tête de peloton dans le secteur économique, la langue de Shakespeare occupe une place prédominante. L’inuktitut, qui n’est pas encore parlé dans les bureaux du gouvernement, a du chemin à faire avant de rattraper la langue des affaires. La création du Nunavut représente, pour plusieurs, une lueur d’espoir. Le gouvernement du Nunavut tente d’ailleurs d’introduire la langue des Inuits au sein de la fonction publique d’ici 2020. Par contre, ces efforts ne semblent pas donner les résultats escomptés, si on se fie aux propos de la commissaire aux langues du Nunavut, Eva Aariak. La commissaire, lors du dépôt de son troisième rapport annuel, le18 février dernier, a reproché au gouvernement de ne pas donner à l’inuktitut l’importance qu’elle devrait avoir. Le chercheur Louis-Jacques Dorais admet que le Nunavut peut servir de rempart à la prédominance de l’anglais, mais que sans volonté de la part du gouvernement, les bonnes intentions vont rester lettre morte. « Le gouvernement du Nunavut, en principe, devrait être capable de légiférer dans ce domaine, mais il faut de la volonté pour le faire et aussi les moyens financiers. »

Cette place de l’anglais dans la sphère économique pourrait être une menace à la survie de l’inuktitut. « Les gens nous ont dit que c’est important d’apprendre l’anglais et que l’inuktitut est moins utile », explique Louis-Jacques Dorais.

Selon l’étude, l’inuktitut est principalement utilisé pour préserver l’identité de la communauté et pour en assurer la continuité. Le pouvoir politique de la langue prend de plus en plus d’espace, peut-être même plus que l’anglais, selon le chercheur Dorais. « C’est probablement plus utile et plus significatif, pour les politiciens qui veulent communiquer avec leur électorat, de le faire en inuktitut. »

Autre phénomène remarqué par les chercheurs, les parents inuits vont systématiquement parler en inuktitut à leurs jeunes enfants. Le sentiment d’appartenance et d’identité est très fortement relié à la langue. « Les gens tiennent à leur langue », relate le chercheur. Ce rapport langue-identité est d’ailleurs similaire à celui observé auprès de la population francophone en situation minoritaire. « La situation des francophones, jusqu’à un certain point, est un peu la même que celle des Inuits par rapport à l’anglais. » Par contre, dès que les enfants deviennent bilingues sur les bancs d’école, l’anglais reprend tous ses droits. « Les parents considèrent que c’est important de transmettre la langue, mais dans la pratique, on s’adapte à l’enfant », ajoute Louis-Jacques Dorais.

De leur côté, les Nunavutois qui s’expriment en anglais ou en français reconnaissent la légitimité de la langue inuktitut sur le territoire, mais ne veulent pas qu’on les oblige à l’apprendre. « En pratique, très peu de gens seraient prêts à faire l’effort d’apprendre l’inuktitut, même si en théorie on dit que la langue est légitime », explique l’anthropologue.

Avec une population majoritairement inuite, mais composée d’une forte minorité anglophone, la capitale, Iqaluit, a été un terrain propice à l’étude. Les communautés d’Igloolik et de Kimmirut ont également été l’objet de cette étude. Le chercheur Louis-Jacques Dorais estime que d’autres études devront être réalisées dans l’avenir pour déterminer si les perceptions des gens ont changé. Le Nunavut est encore jeune et plusieurs années seront nécessaires avant de constater l’impact de sa création sur la transmission de la langue.