À la bibliothèque de Yellowknife, jeudi dernier, il n’y avait pas assez de chaises pour asseoir tous les curieux venus assister à l’atelier sur l’anarchisme.
Un sourire en coin, les anarchistes-en-chef, Peter Cizek et Chris O’Brien, se sont adressés à la foule qui demeurait bien ordonnée. « Anarchie est un terme qui nous vient du grec ana, qui signifie “sans” et de archos, “dirigeant”, explique Cizek. Donc l’anarchie c’est l’absence de dirigeant. » L’anarchisme, expliquent les deux animateurs, est un courant politique qui ajoute une nouvelle variable à l’indécrottable axe politique gauche-droite. En plus du libéralisme (gauche) et du conservatisme (droite), l’anarchisme prend en compte l’autoritarisme et l’anti-autoritarisme. Les anarchistes sont des gauchistes anti-autoritaires. Qui auraient pensé que l’anarchie pouvait être une chose aussi académique ?
Pour ne pas diriger davantage l’atelier, on s’en doute, les deux compères ont alors ouvert le débat. Les commentaires fusent : « Je connais des groupes à Yellowknife qui sont des anarchistes. » « Les coopératives de pêcheurs de la Nouvelle-Écosse fonctionnaient selon un système proche de l’anarchie. » « Les Premières Nations vivaient sans leaders avant que l’homme blanc ne viennent leur demander s’il pouvait parler au chef. » « Peu importe pour qui tu votes, le gouvernement gagne toujours. »
La discussion s’est finalement terminée lorsqu’une participante a osé demander en quoi consistait l’objectif de l’atelier. Sans plus d’explications, des cartes à collectionner d’anars célèbres ont circulé. Les anarchistes en herbe ont pu retourner chez eux les bras chargés de cartes de Kropotkine, Proudhon et… Sitting Bull.
N’empêche, elle était bonne la question : pourquoi cet atelier ? Il appert qu’il s’agissait du premier d’un série de « cafés philosophiques » qui auront lieu sporadiquement à la bibliothèque de Yellowknife. Même si, en définitive, aucun café n’était servi, ce premier débat s’inscrit bel et bien dans cette activité qui vise à faire échanger la population sur des questions d’ordre moral et philosophique.
Un candidat anar?
Il peut sembler étrange que cet atelier sur l’anarchie ait été donné par Chris O’Brien. Aux dernières élections fédérales, il portait les couleurs du Parti vert dans le comté de Western Arctic. Est-il toujours attiré par le pouvoir ?
« Oh, répond-t-il, je ne suis pas vraiment intéressé à diriger qui que ce soit. » Pour lui, l’anarchisme c’est d’abord un modèle politique qui permet de mettre à contribution chaque individu pour le bien commun. « Ce que je veux, c’est avoir une approche politique à long terme. Nous sommes une société qui pense excessivement à court terme et ce système va devoir s’effondrer d’une façon ou d’une autre, probablement à cause de facteurs écologiques. Alors nous devons apprendre à vivre ensemble pour le bien commun […] S’il y a une entité qui doit diriger cette planète, ce doit être la planète elle-même », poursuit l’écologiste.
Pour lui, un exemple de société anarchiste fonctionnelle est celle qui prévalait aux TNO, il y a tout juste 300 ans, celle des chasseurs-cueilleurs. « La société de chasseurs-cueilleurs classique c’est environ 25 personnes qui vivent en petit groupe, explique celui qui est anthropologue de formation. Ce sont des gens qui partagent, nécessairement, des liens familiaux. Ils partagent également des idées et des philosophies communes. […] Ils ont appris qu’ils doivent travailler ensemble et ils le font, la majeure partie du temps, par consensus, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont toujours d’accord. Tôt dans l’histoire, les humains ont appris à mettre leurs énergies ensemble et à travailler pour le bien commun. » Chris O’Brien estime qu’il faut s’inspirer de ce modèle. « Cette organisation politique a duré et fonctionné pendant si longtemps que ça doit signifier quelque chose »
Son barbu collègue, Peter Cizek, qui est entre, autres choses, conseiller en environnement pour les Premières nations du Deh cho, en rajoute. « En fait nous n’avons qu’un seul choix devant nous : le chaos ou l’anarchie. L’anarchie c’est la plus haute expression de l’ordre. »
