L’essor de la musique classique vers le modernisme correspond à une période de transformation artistique qui s’étend de la fin du XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale en Europe. C’est une époque où les philosophies de la création se multiplient, se confrontent et coexistent, ouvrant de nouvelles frontières à l’acte artistique.
L’un des concepts majeurs qui émergent dans cette période est celui de la synesthésie, popularisé par Charles Baudelaire au milieu du XIXe siècle. Dans sa poésie, l’artiste exprime que la création est, à sa base, une expérience subjective : une transformation personnelle des sensations, et non la simple reproduction fidèle d’un phénomène observé. Ses sonnets, riches en rythmes et en images, donnent un cadre formel à cette subjectivité poétique.
Ce rapport sensible à l’art est repris par les parnassiens, qui s’opposent à la vision romantique selon laquelle l’artiste doit exprimer uniquement ce qui vient de son passé, de sa tradition nationale ou de son intériorité. Pour eux, l’œuvre doit dépasser ces limites : elle doit être structurée, polie, filtrée par les exigences de forme, et aller – comme le disait Théophile Gautier – chercher « l’art pour l’art », au-delà des frontières culturelles.
Dans la continuité, les symbolistes développent un langage fait de métaphores, d’images, et d’allégories, qui transforme la description en évocation. Ces idées influencent aussi la musique.
C’est dans cette complexité théorique que Maurice Ravel travaille, sans jamais s’enfermer dans une seule école. Il puise librement dans ces courants – romantisme, symbolisme, classicisme – pour nourrir ses compositions et ses orchestrations. Il applique avec virtuosité ses talents de compositeur et d’orchestrateur aussi bien à ses œuvres qu’à celles des autres.
Ravel transforme ainsi pour orchestre des œuvres initialement écrites pour piano ou pour instrument seul. Il le fait dans les suites de Miroirs, dans des extraits du ballet Les Sylphides (basé sur les pièces de Chopin), dans Khovantchina et Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgski.
En 1909, il compose Ma mère l’Oye, une suite pour piano à quatre mains, inspirée des contes de Charles Perrault – La Belle au bois dormant et Le Petit Poucet. Il en réalise l’orchestration en 1911, créant une œuvre d’une grande délicatesse sonore, à la frontière entre l’enfance, le mythe et l’imaginaire musical.