Malgré la beauté de l’œuvre Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) d’Arnold Schoenberg, sa première exécution au Musikverein de Vienne provoque de vives controverses. Le public viennois est particulièrement choqué par le sujet du poème à l’origine de la pièce, qui évoque une femme confessant qu’elle attend un enfant d’un homme étranger, hors mariage. Curieusement, Schoenberg s’est inspiré de Mathilde Zemlinsky – la sœur de son professeur de composition – qu’il épouse plus tard et avec qui il a eu des enfants. Une autre source de polémique fut l’usage audacieux de dissonances dans l’écriture musicale, ce qui dépassait les habitudes auditives de l’époque. Ces débats traduisent en réalité une tension plus profonde : la musique commençait à être pensée comme une véritable science, intégrant de nouveaux paradigmes théoriques et esthétiques.
Dans ce contexte, Verklärte Nacht apparait comme une œuvre charnière, marquée par une quête de clarification épistémologique de la théorie musicale en tant que discipline scientifique. Elle s’inscrit dans une démarche où divers cadres conceptuels s’articulent, se confrontent et évoluent vers de nouveaux paradigmes de connaissance. Cette dynamique repose sur une écriture notée qui, en Occident, a progressivement atteint un niveau de formalisation comparable à celui des sciences exactes, justifiant l’appellation de « musique savante ».
L’essor de la musique classique et sa transition vers le modernisme s’appuient sur une longue tradition scientifique : depuis les études de Pythagore dans l’Antiquité gréco-égyptienne sur les rapports de proportions et les vibrations des cordes, jusqu’aux innovations du Moyen Âge. Vers le milieu de la période médiévale, Guido d’Arezzo fixe une notation plus précise, invente les noms des notes et élabore la portée musicale (alors à quatre lignes). Ce système graphique se développe et donne naissance aux grands cadres théoriques de la musique modale et de la musique tonale.
C’est dans cette continuité historique qu’Arnold Schoenberg joue un rôle majeur : il systématise le système non tonal et le dodécaphonisme à la suite de sa composition Verklärte Nacht.