Se marier peut paraître fort simple. Une fois la décision prise, un simple rendez vous à la paroisse ou chez le représentant de la justice locale, et le tour est joué. Il est peu probable que votre famille s’oppose à votre mariage et il est encore moins probable que votre lointaine marraine qui est d’ailleurs décédée depuis longtemps vous en empêche. Pour un Inuk qui veut respecter la tradition de son groupe, le mariage peut s’avérer être un peu plus complexe.
Il faut dire que dans la plupart des groupes inuit de l’Arctique canadien, une même personne est souvent dotée de plusieurs noms. Ces noms peuvent être attribués à un enfant au moment de sa naissance, et celui-ci peut encore en recevoir d’autres à différents moments de sa vie. Le nom inuit ne se contente généralement pas de désigner un individu. Avec les noms des défunts qui sont transmis aux vivants, ce sont bien souvent les ancêtres qui continuent leur vie dans la communauté.
Porter un nom revient à partager un peu de la vie de la personne dont on a reçu le nom et d’ailleurs, les Inuit s’adressent généralement à celui avec qui ils partagent un nom qui leur a été transmis par une même personne en utilisant le terme « saunira », « mon os » qui montre bien la force de la relation évoquée.
Le nom d’une même personne peut être transmis à plusieurs nouveaux nés. Comme en inuktitut le nom d’une personne ne dévoile généralement pas le fait que cette personne soit un homme ou une femme, il peut arriver qu’un même nom soit transmis à plusieurs personnes de sexes différents. L’introduction, depuis le début du siècle de noms « importés » du Sud dans le système de parenté inuit semble rendre aujourd’hui ce phénomène plus rare bien que l’on puisse encore l’observer fréquemment.
Deux personnes qui portent le même nom ont souvent des relations privilégiées entre elles. Lorsqu’elles ont reçu leur nom en commun de la même personne, elles partagent en fait une identité commune.
Les noms que l’on porte ont une énorme influence sur l’ensemble des relations que l’on entretient avec ses parents et ses proches. Une jeune inuk qui a reçu le nom de son grand père maternel pourra ainsi être appelée « ataata », « papa » par sa mère, ce qui peut rendre un deuil moins douloureux.
Dans les régions du McKenzie et du Keewatin, il semble avoir été d’usage d’éviter que deux personnes qui ont un nom en commun qu’ils ont reçus de la même personne puissent se marier ensemble. On peut en effet difficilement imaginer voir se marier deux personnes qui partagent une identité en commun, tout comme l’on peut difficilement imaginer voir quelqu’un se marier avec lui même.
Les noms peuvent avoir une influence encore bien plus complexe lorsque l’on parle d’un mariage inuit.
Un ami et informateur inuit originaire de l’Ile de Baffin me racontait comment il avait refusé de se marier avec celle qui lui semblait destinée lorsqu’il était encore enfant. Les gens de son entourage ne cessaient pas de le taquiner en lui disant que s’il épousait sa promise, Itee serait en colère. Itee était la femme de la personne alors décédée dont mon ami Simata avait reçu le nom. Finalement le mariage de Simata avec sa promise n’eut jamais lieu. Simata ne voulait pas aller à l’encontre de son ancêtre de nom.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là pour autant. Itee était elle aussi décédée mais son nom a été transmis à une jeune fille que Simata rencontra plus tard dans un village voisin où il venait d’arriver avec sa famille et où il demeura quelques années. De retour dans son village d’origine, bien longtemps après toute cette histoire, Simata qui avait maintenant près de 25 ans et qui ne s’était jamais marié reçut un beau jour un coup de téléphone. C’était Itee, celle qu’il avait connu dans le village voisin quand il était encore enfant et qu’il n’avait pas revu depuis. Elle vivait toujours au même endroit et elle appelait Simata pour lui annonçer qu’elle avait l’intention de se marier. Cela posait toutefois un problème: elle voulait en effet pour pouvoir se marier que Simata accepte de divorcer! Simata refusa car il ne voulait pas offenser les ancêtres qui avaient transmis à Simata et à Itee leurs noms. En fait, même si Simata et Itee ne se sont jamais mariés, ils se considéraient tous deux comme tel puisque ceux dont ils avaient reçus leurs noms étaient eux mariés ensembles.
Simata apprit plus tard que Itee qui s’était mariée et avait ainsi rompu le contrat de ses ancêtres de nom. Elle venait de trouver la mort avec son mari dans un tragique accident. Simata quand à lui est toujours demeuré célibataire malgré qu’il pourrait aujourd’hui envisager de se remarier maintenant que sa femme est décédée.
Cette histoire véridique (les noms ont été changés) montre bien le degré de complexité que peuvent atteindre les relations de parenté inuit. À une parenté telle que nous la connaissons vient en quelque sorte s’ajouter un système qui permet d’intégrer vivants et défunts au sein de la communauté qui dépasse même le cadre du villag. Vivants et ancêtres continuent de vivre ensemble et de se respecter mutuellement tout en en assumant les avantages et les inconvénients, exactement finalement comme le font entre eux les vivants.