le Dimanche 20 avril 2025
le Vendredi 21 septembre 2001 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:35 Divers

La sale affaire!

La sale affaire!
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Je ne voulais pas écrire la semaine passée, pour la bonne et simple raison que la seule chose sur laquelle je me serais exprimée est la seule chose dont vous n’aviez vraiment pas envie d’entendre parler, l’attaque des terroristes aux États-Unis! En effet, mon point de vue n’aurait rien apporté de nouveau et toute pensée que j’aurais pu apporter là-dessus, quelque philosophique qu’elle aurait pu être, n’aurait qu’ajouté à l’horreur du moment. En effet, je n’ai ni la formation et surtout, ni la prétention de vous apporter des explications qui peuvent soit vous éclairer, soit vous calmer. La seule chose que je peux faire, étant donné la tribune que m’offre le journal, est de partager les sentiments qui m’habitent en ces moments d’incertitude et d’angoisse profonde.

Le monde ne sera plus jamais pareil. Sans doute est-ce vrai pour tous les adultes qui ont saisi l’ampleur et les conséquences de ce que les gestes de la semaine dernière peuvent avoir. En effet, la sécurité et le sentiment d’être à l’abri ont pris le bord et se sont installés la crainte, la paranoïa, la peur, le désespoir. Peu à peu, montent la colère, l’intolérance, l’insécurité, la haine. Des sentiments dangereux, voire destructeurs, sont en train de s’installer chez nos voisins du Sud et dans d’autres pays. Le sentiment de revanche se manifeste chez les gens de la rue. Le son de la guerre gronde. C’est le chaos!

Je suis à un âge assez avancé pour avoir vécu la peur horrible déclenchée par la crise des missiles. On avait tellement peur, qu’on avait envie de se cacher sous nos pupitres quand on entendait un avion. Je me souviens, la nuit, d’avoir été réveillée par le bruit des avions (j’étais pensionnaire à Chicoutimi, non loin de la base militaire de Bagotville) et de pleurer dans mon lit, la nuit, tellement j’étais certaine qu’on venait nous bombarder, qu’on allait mourir dans la nuit même. J’étais jeune, bien sûr, mais la peur était très grande, incontrôlable. Évidemment, on ne faisait rien, au couvent où j’allais, pour faire taire ces peurs. Nous avons donc vécu, pendant une certaine période, dans la certitude que nous allions mourir. Comme je fréquentais une école dirigée par les soeurs, on nous disait que les communistes, représentés par Cuba, viendraient nous faire piétiner nos images religieuses et renier notre foi. Nous tremblions et nous affirmions qu’aucun communiste, si menaçant soit-il, nous ferait piétiner nos images religieuses et nous préférions mourir, dans nos petites têtes. Bref, les images étaient fortes et nos sommeils perturbés, pendant cette période noire de nos jeunes vies. Par la suite, des images de guerre nous ont fait sursauter, mais tout était si loin, que cela ressemblait à de la fiction. Les deux guerres mondiales ont semé leur destruction, la bombe atomique a fait trembler de peur le monde entier, et sa menace gronde toujours. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, de nombreuses guerres ont sévi et sévissent toujours, mais la distance a toujours fait en sorte que la menace n’était jamais présente. Bien sûr, il y a eu certains événements qui nous ont fait pressentir le pire, comme entre autres, l’assassinat de Kennedy, la guerre froide avec l’URSS, mais jamais avons-nous tremblé comme nous l’avons fait cette semaine, alors que la bombe est tombée dans le champ de notre voisin. Les catastrophes naturelles ont fait des ravages énormes. Certains tremblements de terre ont entraîné des centaines de milliers de morts. Mais du fait que ces calamités sont déclenchées par la nature, l’horreur qu’elles entraînent est acceptée plus facilement, avec toute la nuance que peut avoir ce mot, que les horreurs déclenchées par le fait de l’homme, cette bête pensante, à ce qu’on dit. En effet, plus on avance dans l’histoire de l’humanité, plus on se demande si cet être pensant n’a pas subi, au cours des siècles, des mutations telles qu’il serait devenu un monstre visant à détruire tout ce qui l’entoure. Un monstre qui élève ses enfants à haïr, à tuer, à tenir un fusil dès l’âge de marcher. Un monstre qui n’a de cesse que les autres pensent exactement comme lui, sous peine des pires représailles. Un monstre dont le mot vengeance est inscrit en lettres de feu dans le plus profond de son âme. Un monstre qui transforme en objets destructeurs les plus grandes inventions à la portée. L’homme serait donc rendu un monstre. Pas partout. Pas toujours. Au contraire, certaines images prouvent bien que la chaleur et la charité humaines dans leur sens le plus vaste existent bien toujours pour contrer l’horreur. Après cette semaine cauchemardesque, qualifiée par quelques-uns comme le vrai début du XXIe siècle, nous espérons retrouver bientôt un sens à la vie, un sentiment de fierté dans la race humaine, un désir du devoir accompli et un sol dont la blancheur n’est pas attribuable aux cendres, mais à une neige immaculée. Espérons que les sentiments de vengeance qui animent de nombreux dirigeants et des millions de personnes soient suffisamment tempérés pour ne pas entraîner dans l’horreur notre pauvre monde qui tente tant bien que mal de panser ses plaies. Le fait de compenser par la destruction de nombreuses vies humaines, souvent innocentes, ne redonnera pas vie à ceux qui sont morts et ne servira qu’à faire s’enfoncer la terre dans une fange déjà bien trop épaisse. Ne perdons pas espoir et souhaitons que la voix des philosophes et des pacifistes se fasse entendre haut et fort, bien au-dessus de la voix des guerriers.

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