Amélie Legeay
Entre coutumes d’un ancien temps et usage d’un genre nouveau, le langage raconte infailliblement l’origine d’une nation. Et, à l’image de celles et ceux qui nous ont précédés, qu’ils soient maréchaux-ferrants, prêtres, écrivains, monarques, développeurs, consultants digitaux, entrepreneurs en e-commerce ou encore adjoints virtuels, la langue française, nourrie de batailles, de voyages, de rencontres et de métissages, demeure le gardien habile et audacieux de notre passé.
Une expression : une formule qui a… le sens de la formule
Nées pour la plupart de la verve populaire, les expressions sont enrubannées de mystère, de drôlerie, de cruauté ou de sagesse. Ces formules consacrées, entendues de la bouche de nos grands-parents, émaillent quotidiennement notre discours et, en véritables clins d’œil aux mœurs d’hier et d’aujourd’hui, ont chacune une anecdote à raconter.
Les unes vieillissent, car le temps les néglige un peu tandis que les autres s’y substituent pour prendre une place de choix dans le langage commun, mais chacune, en toute humilité, témoigne de la puissance et de la beauté de notre histoire.
Il est impossible de faire l’impasse sur ces expressions qui contribuent à notre richesse linguistique. Voici ce que je vous propose de découvrir ensemble dans ce nouveau périple sur les traces de la langue française.
Cinq fruits et légumes par jour
Tomber dans les pommes Origine : France Date : XIXe siècle Signification : s’évanouir
Même si son origine réelle demeure inconnue, les pommes, dont il est fait référence dans cette expression, sont une déformation du mot « pâme », issu du latin pasmare qui signifie « spasme ». Dans le langage populaire, il était coutumier de se pâmer ou de tomber en pâmoison. C’est l’écrivaine française George Sand qui lui a rendu ses lettres de noblesse dans une correspondance adressée à son arrière-grand-mère, et pionnière du féminisme, Louise Dupin, où elle mentionne être « dans les pommes cuites » soit dans un état de fatigue extrême. |
Origine : France Date : XIIe siècle Signification : pour rien
Depuis longtemps déjà, la prune a la part belle dans les expressions populaires. Elle pouvait être associée à un heurt, à la chance ou à la malchance, mais c’est avant tout à quelque chose sans valeur qu’elle a pris le sens qu’on lui donne encore aujourd’hui. Il faut remonter au temps des croisades. En 1150, les Croisés ramenèrent des pruniers de Damas, en Syrie, dont ils avaient pu se régaler. Alors qu’ils faisaient le compte-rendu de l’échec de leur expédition au roi Geoffroy V, celui-ci se serait écrié : « Ne me dites pas que vous êtes allés là-bas uniquement pour des prunes ! ». C’est ensuite la cour, puis le peuple qui se seraient emparés de cette expression. |
S’occuper de ses oignons Origine : France Date : XIXe siècle Signification : se mêler uniquement de ce qui nous appartient personnellement
À cette époque, il était courant d’entendre un chef d’atelier dire à ses employés de s’occuper de leurs « oignes », mot issu de la troncation du mot oignon, qui signifiait « ongles », afin de les inciter à rester concentrés sur leur travail pour ne pas se blesser. Cette expression a également pris vie dans le centre de la France, où les femmes au foyer, habituées à s’occuper de la maisonnée, et également en quête d’un peu d’indépendance, avaient le droit de cultiver des oignons dans un coin de leur jardin pour ensuite aller les vendre au marché et gagner de l’argent. C’est ainsi que certains maris disaient à leurs femmes trop curieuses de s’occuper de leurs oignons. |
Apporter des oranges Origine : France Date : XIXe siècle Signification : rendre visite à quelqu’un
Henry Béranger, surnommé le « Père – la-pudeur », était un sénateur français réputé comme étant le roi de la censure. Obsédé par la moralité de ses concitoyens et contre l’émancipation des femmes, il a dénoncé quatre jeunes demoiselles, dont Marie-Florentine Roger, plus connue sous le nom de Sarah Brown, pour s’être affichées presque nues dans les rues de Paris durant le défilé du bal de l’École des Beaux-Arts dont elles faisaient partie. L’affaire fit grand bruit à l’époque et, en attendant que le verdict tombe, le poète Raoul Ponchon composa ces deux vers : « O ! Sarah Brown ! Si l’on t’emprisonne, pauvre ange, Le dimanche, j’irai t’apporter des oranges. » C’est donc simplement parce que « orange » rime avec « ange » qu’on a apporté ces fruits aux prisonniers et aux malades. |
Mi-figue mi-raisin Origine : France Date : XIVe siècle Signification : afficher deux attitudes contradictoires
Le rapprochement de ces deux fruits vient du fait qu’ils étaient les fruits secs préférés des fidèles au moment du carême. Ils ont finalement été opposés deux siècles plus tard, car le raisin était considéré comme savoureux tandis que la figue était associée aux fientes de chat ou de chien. L’expression serait surtout reliée aux habitants de Corinthe, en Grèce, qui, de temps en temps, lorsqu’ils livraient des raisins à Venise, y mélangeaient des figues, moins chères et plus lourdes, pour tromper leurs clients. |