C’est Joe Acorn, responsable de ce dossier au Dehcho Pipeline Working Group, qui a le premier soulevé la question dans un courriel dont L’Aquilon a obtenu copie. Comment peut-on faire une demande de financement sans savoir ce que cela implique ?
L’Agence canadienne d’évaluation environnementale offre du financement aux organismes et communautés désireux de prendre part à l’évaluation du Projet gazier du Mackenzie. Mais, au moment d’écrire ces lignes, aucun horaire, ou liste de tâches, n’ont été déterminés. Tout ce que l’on sait c’est que le financement doit servir à « se préparer et assister à des conférences techniques et/ou à produire une analyse technique de la justesse de l’Énoncé d’incidence environnementale » déposée par les promoteurs au début octobre.
« Je ne me sens pas du tout prête, confie la présidente du Conseil sur la condition de la femme des TNO, Barbara Saunders, qui tentait justement de compléter sa demande à temps. Il faut que nous écrivions combien d’argent nous demandons. S’il y a des consultations dans les communautés de la vallée du Mackenzie, nous aurons besoin d’envoyer des représentants là-bas. Mais pour l’instant nous ne savons pas où et quand elles auront lieu. Comment voulez-vous faire une demande éclairée dans ce cas ? »
Kevin O’Reilly du Canadian Arctic Resources Comittee fait face à la même problématique. « Nous sommes forcés d’y aller avec le scénario du pire et cela n’aide ni ceux qui doivent préparer les demandes ni ceux qui devront les évaluer. »
Déterminer l’horaire du processus de révision incombe à la Commission d’examen conjoint du projet gazier du Mackenzie (CEC). Contactée deux jours avant la fin de la période de demande de financement, la directrice de la CEC, Paula Pacholek, ne pensait pas qu’un tel horaire serait disponible avant l’échéance de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale. « La commission n’a pas décidé quand elle déposera son horaire, a-t-elle dit. Les membres de la CEC n’ont pas toute l’information nécessaire en ce moment pour prendre cette décision, ni pour décider les sujets qui seront abordés lors des conférences techniques. La commission y travaille, une déclaration en ce sens devrait être faite au cours des semaines à venir. »
L’Énoncé
D’autre part, étant donné que la principale tâche du processus de révision est de produire une analyse critique de l’Énoncé d’incidence environnementale (EIE), certains organismes aimeraient bien pouvoir y jeter un coup d’oeil avant de faire leur demande.
Or, ainsi que l’a révélé L’Aquilon dans son édition du 15 octobre, les organismes qui avaient demandé copie de ce document l’ont reçu quelques semaines après son dépôt formel. Le Canadian Arctic Resources Comitee et le Conseil sur la condition de la femme des TNO ont obtenu leurs copies deux semaines avant la fin de la période de demande de financement. D’autres organismes tels que le Dehcho Pipeline Working Group et l’Alliance de la jeunesse dénée ont obtenu le document tout juste une semaine avant la fin de la période. Même la Commission d’examen conjoint, semble-t-il, a tardé à recevoir ses copies. Dans une lettre envoyée à Kevin O’Reilly, le lendemain du dépôt de l’EIE, le président de la commission, Robert Hornal, écrit que « les membres et le personnel de la Commission d’examen conjoint n’ont pas reçu leurs copies du document en ce moment. »
L’EIE est un document colossal. Il compte plus de 8000 pages regroupées sous une vingtaine de couvertures. Évidemment, sa lecture est un exercice complexe. « À cause de la taille du document, c’est impossible pour une seule personne de passer au travers en une semaine ou deux. Et je pense que c’est important, il y a peut être des questions là-dedans auxquelles je ne pense pas au moment ou je formule ma demande. Alors, oui, le délai est bien trop court », râle Barbara Saunders.
Kevin O’Reilly émet des commentaires similaires. Quand on lui demande s’il a lu l’EIE, il s’esclaffe : « Nous n’avons vraiment pu que gratter la surface. »
Mentionnons enfin que tous les documents nécessaires pour entamer le processus de révision n’ont pas encore été déposés. Le Résumé vulgarisé de l’EIE se fait toujours attendre. Ce document est censé être disponible sur supports écrit, audio et vidéo, en anglais, en français et dans toutes les langues autochtones parlées dans les communautés concernées par le projet. Selon le cadre de référence du processus d’évaluation adopté en août, l’évaluation ne peut commencer tant que ce document n’est pas disponible.
Pour Barbara Saunders, en demandant au public de faire ses demandes de financement avant le dépôt du Résumé vulgarisé, on exclut d’office les communautés directement affectées par le projet. « Il est certains que les personnes qui seront les plus touchées par ce projet, ceux qui vivent dans les communautés de la vallée du Mackenzie, ne sont pas en mesure de passer au travers de [l’EIE], dit-elle. Ils ont besoin du Résumé vulgarisé pour décider s’ils veulent prendre part à l’évaluation. Alors je pense que c’est une autre raison pour laquelle la date d’échéance devrait être reportée. »
Le 2 novembre, la présidente du Dehcho Pipeline Working Group, Keyna Norwegian, qui est également chef de la Première nation de Liidlii Kue (Fort Simpson), a fait une demande formelle à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale pour que le délai soit reporté. Mme. Norwegian exigeait une réponse pour le 3 novembre.
Selon une porte-parole de l’Agence, il a été convenu mercredi que la date ne serait pas modifiée. L’Agence avait déjà retardé l’échéance une première fois le 28 septembre dernier, constatant que l’EIE n’avait toujours pas été déposée.
Avec son coût évalué à sept milliards de dollars, ses trois champs d’extractions de gaz naturels, ses installations de transformations d’Inuvik, son pipeline qui acheminera les gaz liquéfiés d’Inuvik à Norman Wells et son gazoduc de 1220 kilomètres d’Inuvik jusqu’en Alberta, le projet gazier s’annonce comme le plus important chantier canadien de la décennie.