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le Vendredi 7 avril 2006 0:00 Économie

Ce qu’on dit aux audiences « Comme une seule personne »

Ce qu’on dit aux audiences « Comme une seule personne »
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De passage à Déline, sur le bord du Grand lac de l’Ours, la Commission d’examen conjoint du Projet gazier du Mackenzie a entendu une communauté pour qui la terre vaut bien plus que de l’argent. Des 17 membres de la communauté Sahtu de Déline qui ont parlé aux audiences publiques, le 3 avril, c’est probablement Dolphus Baton qui a le mieux résumé la séance.

« Nous avons tous parlé comme si nous étions une seule et même personne. Nous avons tous fait les mêmes commentaires à propos du territoire. C’est parce que nous avons tous le même sentiment. »

Tous les orateurs ont, en effet, tour à tour indiqué à la Commission d’examen conjoint que, si le projet devait endommager le territoire au point que les Dénés doivent abandonner leurs activités traditionnelles, alors ça ne valait pas la peine qu’on le construise.

« Même si on nous offre des millions de dollars, l’argent ne résoudra pas tous nos problèmes, ça ne fera pas de nous de meilleures personnes », a lancé Caroline Yukon. « Quand nous aurons perdu notre territoire, nous ne pourrons plus le remplacer. […] Si le pipeline est construit, il peut y avoir des accidents. Et il y aura des dommages à l’environnement, et ça affectera les animaux, ça affectera le caribou qu’on mange, ça affectera le poisson qu’on mange. Nous allons tout perdre. »

« Si le pipeline est construit, alors éventuellement nous allons perdre toute la faune de notre territoire », pense aussi Michael Neyelle. « Si la faune est décimée, vous [les promoteurs du projet] dites que vous allez nous compenser pour la perte. Mais comment comptez-vous faire ça ? En vous fiant au prix du bœuf qui se vend à l’épicerie? »

Morris Neyelle, lui, estime qu’avant de dire « oui » au gazoduc, il faudra s’assurer d’avoir une entente en béton. Et pour lui, cela signifie que les promoteurs doivent assurer qu’il restera toujours des animaux sur le territoire.

« J’ai toujours cru que, quoi qu’il advienne, je protégerai toujours les animaux. Je donnerais ma vie pour eux, parce que, sans eux, ma vie est inutile. »

Différence d’échelle

Un résidant voulait savoir durant combien d’années le pipeline allait être opérationnel.

Le représentant d’Imperial Oil présent aux audiences a répondu que les trois puits initiaux allaient pouvoir alimenter le gazoduc durant 25 à 30 années. Il a ajouté que, si d’autres puits étaient forés, on pouvait alors espérer que l’entreprise dure jusqu’à 50 ans. « Ça peut durer longtemps », a-t-il dit.

Du tac au tac, un aîné a demandé : « Et dans 700 ans? ». Ce à quoi le représentant d’Imperial a répondu qu’il était impossible de faire des prévisions à aussi long terme.

Plusieurs, faisant référence au déversement récent qui s’est produit en Alaska, se sont inquiétés du risque de fuites. Le représentant d’Imperial Oil a souligné que les méthodes employées pour la construction du pipeline étaient sécuritaires. Il s’est toutefois dit incapable d’assurer qu’il n’y aura jamais de fuite dans le gazoduc.

Un autre sujet récurrent abordé par les résidents de Déline a été la vieille mine de Port Radium, où ont travaillé des aînés du village dans les années 1930 et 1940 et qui est aujourd’hui un site hautement contaminé et radioactif.

« On nous a dit que ça allait être nettoyé, mais à ce jour ça n’a pas été fait. Personne n’a jamais rien fait. Et là on parle de faire encore plus de forage. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée », a indiqué Morris Neyelle.

Gérer l’argent

« Les petites communautés reçoivent toujours des miettes, s’est quant à lui plaint Dolphus Tutcho. L’argent part de Yellowknife, ça passe par le quartier général d’Inuvik, puis par le bureau régional de Norman Wells. Rendu à Déline, le porte-feuille est pas mal mince. »

Il s’inquiète des compensations qui seront versés pour répondre aux coûts sociaux associés au projet.

« Le gouvernement des TNO, qui devrait être ici pour représenter les gens du Nord, n’est pas prêt. Il n’a pas d’argent. Il ne sait pas comment répondre aux impacts du pipeline. Ça m’étonnerait qu’il ait un plan. Tout ce qu’il peut faire c’est se chicanner sur la façon de dépenser les 500 millions de dollars [promis par le gouvernement fédéral] et c’est à peu prêt tout. »

« Déline n’est pas prête du tout. Nous n’avons pas de services. Nous avons bien quelques travailleurs sociaux, mais je pense qu’ils seront surchargés de travail avec tout cet argent qui s’en vient. » Le peu d’argent reçu par les bénéficiaires des accords de revendications territoriales suffit déjà à alimenter des conflits, a-t-il soligné. « Les Autochtones sont très malhabiles à gérer l’argent », estime-t-il.

Plusieurs personnes ont souligné que la communauté était un peu ébranlée, cette journée-là, un aîné étant décédé le matin même. Plusieurs personnes ont, à ce propos, souligné que les aînés sont unanimement opposés au pipeline