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le Vendredi 21 juillet 2006 0:00 Économie

Ce qu’on dit aux audiences « Tout ce qui nous reste, ce sont les tribunaux »

Ce qu’on dit aux audiences « Tout ce qui nous reste, ce sont les tribunaux »
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Pour sa première excursion à l’extérieur des Territoires du Nord-Ouest, la Commission d’examen conjoint s’est rendue à High Level, dans le nord de l’Alberta, où les Premières nations Déné Tha l’attendaient avec une brique et un fanal.

Le groupe autochtone, dont les revendications territoriales restent à régler, conteste depuis plus d’un an la légitimité du processus de révision du projet de gazoduc. Les Dénés Tha estiment que le projet les affectera de première main et déplorent avoir été exclus du processus. En 2005, ils ont entamé un recours judiciaire contre le gouvernement du Canada et Imperial Oil. Un jugement favorable aux Déné Tha sonnerait le glas de la Commission d’examen conjoint et forcerait l’établissement d’un nouveau processus réglementaire.

« La Commission est parfaitement au courant que nous avons, par deux fois, réclamé que ces audiences soient retardées [jusqu’au règlement de la poursuite judiciaire], a lancé le grand chef des Déné Tha, James Ahnassay. Nous vous avons présenté des motions en 2005, et à nouveau, il y a quelques semaines. Il est navrant et préjudiciable que la Commission ait, deux fois de suite, ignoré nos requêtes et n’ait pas daigné répondre à nos motions. […] À cet égard, il me semble juste de prévenir la Commission que c’est en signe de protestation que nous prenons part à ces audiences. »

Étant donné qu’il n’y a pas d’accès au réseau de gazoducs albertain là où doit normalement se terminer le gazoduc du Mackenzie, sa construction entraînera forcément la construction d’un autre pipeline sur le territoire déné tha. Cela a été confirmé à maintes reprises par le groupe de promoteurs du Projet gazier du Mackenzie.

Les Dénés Tha craignent que l’implantation d’un gazoduc n’encourage le développement de l’industrie gazière sur leur territoire déjà fragilisé par la production pétrolière. « Le développement [pétrolier] a eu un impact négatif sur nos activités de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette, a poursuivi Ahnassay. Même si nous avons tenté de nous adapter, à un moment donné on atteint le point de rupture. Et je dirais que ce seuil a déjà été franchi dans certaines portions de notre territoire. Voilà pourquoi nous sommes préoccupés par la possibilité que le Projet gazier du Mackenzie promeuve un accroissement du développement ».

L’aîné Joseph Eht-Chillay, qui pratique le piégeage traditionnel depuis son enfance, a fait écho aux affirmations du grand chef. D’après lui, les activités pétrolières et la construction d’oléoducs qui ont cours sur le territoire déné tha depuis une cinquantaine d’années ont modifié les aires de distribution du gibier et des animaux à fourrure, forçant les trappeurs à parcourir de plus grandes distances pour pratiquer leurs activités traditionnelles.

« Depuis qu’ils ont construit les pipelines, il ne reste à peu près plus d’animaux dans cet endroit », a-t-il témoigné.

Gloria Silver, également de la nation Déné Tha, s’est dite découragée par ce qu’elle perçoit comme un projet inévitable qui sera mis de l’avant malgré l’opposition de son peuple. Le gouvernement n’écoute jamais les doléances des siens, a-t-elle pesté.

« Bientôt vous allez nous dire ‘‘Bon, on vous a parlé, mais le premier ministre du Canada veut [le pipeline], le président des États-Unis le veut, la ville de High Level le veut, Zama [une ville pétrolière située en territoire déné tha] le veut, alors nous aussi nous le voulons. Le dollar tout-puissant, c’est ça qui nous intéresse. Tant pis pour votre mode de vie, votre culture, votre eau, vos animaux, vos enfants, vos petits-enfants. On va faire ce qu’on veut. Ce que vous dites on s’en fiche’’ », a-t-elle lancé à la commission avant de conclure, résignée, « tout ce qui nous reste ce sont les tribunaux ».

Aucun Déné Tha n’a parlé favorablement du projet de pipeline.

Pendant ce temps à Vancouver

À Vancouver, où avait lieu la semaine dernière l’assemblée générale annuelle de l’Assemblée des premières nations, le dossier du Projet gazier du Mackenzie a refait surface quand la chef de Lidlii Kué (Fort Simpson), Keyna Norwegian, a pris part à une période de questions accordée par le ministre des Affaires indiennes, Jim Prentice.

Norwegian a questionné le ministre sur ses intentions déclarées de permettre la mise en chantier du pipeline sans l’accord des Premières nations du Deh Cho, dont le territoire revendiqué occupe près de 40 % du trajet proposé du gazoduc. « Aux 21e siècle, vous persistez à exproprier nos terres pour construire un pipeline avec ou sans les Deh Cho. Ces commentaires me brisent le cœur, à moi et à ma fille de six ans. Comment pourra-t-elle s’autosuffire si vous continuez de donner nos terres ? », a demandé la chef de Lidlii Kué.

Prentice a réitéré sa position selon laquelle le gouvernement n’est pas tenu d’attendre le consentement de tous les Autochtones affectés par le projet pour approuver la mise en chantier. « Nous ne pouvons pas tolérer une situation dans laquelle un groupe seul possède un droit de veto qui compromet le meilleur intérêt des Autochtones et des Allochtones. C’est ce que j’ai dit et je le maintiens », a répondu le ministre.

Et à Washington

Le 6 juillet, alors que le premier ministre Stephen Harper rencontrait le président George W. Bush, des activistes d’Arctic Indigenous Youth Alliance et du Sierra Club du Canada, deux organisations opposées au Projet gazier du Mackenzie, se sont rendus à Washington devant le Capitole pour dénoncer l’expansion de l’industrie des sables bitumineux de l’Alberta. Les deux organisations soutiennent que le gaz des Territoires du Nord-Ouest servira essentiellement à approvisionner cette industrie, première source d’émission de gaz à effet de serre au Canada.

Les prochaines audiences publiques auront lieu à Yellowknife. L’Office national de l’énergie (ONÉ) sera dans la capitale du 24 juillet au 4 août. La Commission d’examen conjoint (CEC), pour sa part, sera à Yellowknife les 15, 16 et 18 août. Pas besoin de s’inscrire à l’avance pour participer aux audiences de l’ONÉ, mais pour la CEC c’est trop tard. Il fallait s’enregistrer avant le 19 juillet. On peut toutefois assister aux audiences en tant que spectateur sans s’être annoncé à l’avance.