Pour une troisième fois depuis le début du processus d’audiences sur le gazoduc, l’ex-premier ministre des Territoires du Nord-Ouest, Stephen Kakfwi, s’est adressé en son nom personnel à la Commission d’examen conjoint. L’ex-politicien devenu chansonnier a été le seul citoyen ordinaire à prendre part aux quatre jours d’audiences qui ont surtout été accaparés par des groupes d’intérêts.
Pour Kakfwi, il importe de s’assurer que les gens du Nord sont tout à fait prêts à faire face aux conséquences multiformes du développement gazier avant d’ouvrir toutes grandes les vannes de l’industrialisation.
« Le vieux paradigme du développement d’abord et de la limitation des dégâts ensuite ne profite pas aux gens de la place, ni au territoire, ni aux générations futures, a-t-il martelé. Mais jusqu’à présent, cela a été la façon de faire de toutes les compagnies qui sont venues dans le Nord et qui sont reparties ensuite. Cette époque est révolue. Nous ne voulons plus de ça à l’avenir. Jamais plus. »
« Ce que nous demandons ce n’est pas d’empêcher le développement, mais bien de revoir l’ordre dans lequel la conservation et le développement surviennent. Il faut s’assurer d’établir l’équilibre et la conservation d’abord, avant d’autoriser le développement », a-t-il ajouté faisant évidemment référence au projet de Stratégie des aires protégées, dont il est le porte-parole.
Kakfwi s’est dit « abasourdi » par les déclarations de l’ex-premier ministre albertain Peter Lougheed et des maires de Fort McMurray et High Level, qui ont tous trois récemment réclamé un ralentissement des développements pétroliers dans leur province.
« Si dans une juridiction aussi à droite que l’Alberta, où l’on dit ‘’Dieu aime le pétrole, le charbon et les sables bitumineux et Dieu est de notre bord’’ on commence tout à coup à se dire ‘’Dieu ne fait pas tourner le monde comme il le devrait’’, c’est signe qu’il faut ralentir. Ça nous indique qu’il faut impérativement faire les choses comme il faut ou autrement ça ne marchera pas », a commenté Kakfwi.
L’ex-premier ministre a enfin donné quelques statistiques intéressantes sur la participation aux audiences dont l’exactitude reste à vérifier, mais qui, en tout cas, correspondent assez bien au tableau que brosse peu à peu cette rubrique depuis le début de sa publication. D’après Kakfwi, jusqu’à présent 80 % des présentations ont été faites par des gens du Nord. De celles-ci, 200 sur 330 ont abordé des questions environnementales et 90 ont directement abordé l’enjeu de la conservation de la nature.
« J’espère qu’à la fin de l’exercice, vos recommandations refléteront cela », s’est enquis Kakfwi auprès des membres de la Commission.
Eaux troubles
Les communautés de l’est du Deh cho, et principalement Fort Providence, ont fait savoir depuis un bon moment déjà qu’elles sont inquiètes des conséquences qu’aura l’accroissement considérable du trafic fluvial durant la période de construction du projet. Un groupe de consultants environnemental embauché par eux a détaillé plus précisément les risques associés à l’augmentation du nombre de barges empruntant le fleuve Mackenzie.
D’après la firme Aquality Environmental Consulting, l’augmentation du trafic fluvial pourrait augmenter la turbidité de l’eau du fleuve en faisant monter à la surface certains métaux lourds naturellement présents dans le Mackenzie. Non seulement cela pourrait-il détériorer la qualité de l’eau bue par les résidents des communautés mais cela pourrait également avoir des effets malins sur les populations de poissons.
« Des études menées en Alberta ont démontré qu’un ensevelissement de plus d’un millimètre de sédiment par jour suffit à tuer les œufs du brochet. Et le brochet est une des espèces les plus abondamment pêchées par les résidents de Fort Providence », a noté Jay White de la firme de consultants.
Entre autres conséquences, Aquality Environmental Consulting a mentionné les risques accrus de déversements pétroliers dans le fleuve qui résulteront de l’augmentation du nombre de citernes qui emprunteront le Mackenzie pour approvisionner les camps de construction.
Effet cheval de Troie
Pour une énième fois, un présentateur a demandé à la Commission de ne pas voir le Projet gazier du Mackenzie comme un simple pipeline couplé de trois puits d’ancrage, mais bien comme la clef qui ouvrira l’Arctique canadien au développement gazier à grande échelle
. Ce que l’on pourrait nommer « l’effet cheval de Troie » veut que, en raison de la présence du gazoduc, d’autres champs gaziers jusque-là inaccessibles pourront être développés. On avance généralement que, sans l’apport futur des champs gaziers de la mer de Beaufort et de la région de Colville Lake, le Projet gazier du Mackenzie coûtera plus cher à construire que ce qu’il rapportera à exploiter, et donc qu’étendre les activités gazières dans ces deux zones est forcément le but ultime du projet.
« Un développement subséquent est virtuellement garanti, a mis en garde la directrice du programme Forêt et diversité du Sierra Club du Canada, Rachel Plotkin. Et ce développement induit signifiera plus de routes, plus de coupes sismiques et plus de constructions. »
D’après elle, il importe de savoir dès maintenant quels sont les plans d’expansion des compagnies gazières, car ces projets futurs fragmenteront l’habitat de certaines espèces de mammifères particulièrement vulnérables à l’activité humaine : le caribou, le grizzly et le carcajou.
Du 7 au 15 septembre, la Commission doit se rendre dans les quatre communautés les plus septentrionales des TNO : Paulatuk, Uluhaktok, Sachs Harbour et Tuktoyaktuk.