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le Vendredi 25 mai 2007 0:00 Économie

Analyse: Territoire à vendre, pas cher

Analyse: Territoire à vendre, pas cher
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Dans son édition du 18 mai, citant des sources anonymes, le National Post avance que le gouvernement Harper songe à racheter le gazoduc Mackenzie ou du moins une partie du projet, possiblement la part d’Imperial Oil. Pressé par le coup fumant du Post le ministre des Affaires indiennes et du Nord, Jim Prentice, s’est empressé de nier toute possibilité de rachat en tout ou en partie du projet qui, dit-il, doit rester dans le giron de l’entreprise privée.

« Le nouveau gouvernement du Canada n’examine pas la possibilité de prendre en charge le projet gazier Mackenzie, et c’est le message que j’ai transmis directement aux promoteurs. Toute allusion ou supposition du contraire est inexacte, erronée et fondée sur des sources mal informées », déclare le ministre dans un communiqué. Du même souffle, au cas ou on ne l’aurait pas compris, Prentice a tenu a préciser que « « toute allusion voulant que le projet soit motivé par des intérêts non commerciaux, comme l’emploi ou les politiques autochtones, est totalement incorrecte et non fondée. » Au moins ça c’est clair !

La rumeur avortée du Post confirme surtout que les tractations entre les pétrolières et Ottawa ont lieu comme prévu et présage la conclusion d’une entente fiscale entre ces bonnes copines. Ce scénario, il faut le dire, a toujours été celui préconisé par l’industrie et, comme de raison, envisagé par le gouvernement.

Déjà en novembre 2005, la vice-première ministre Anne McLellan faisait parvenir une missive à Imperial Oil et au consortium gazier dans laquelle elle leur annonçait que « le gouvernement du Canada s’est […] engagé à travailler avec vous en réponse à votre demande de bonification des modalités financières ». Entre autres bonifications, la vice-première ministre suggérait « l’acceptation de redevances en nature », « des ajustements symétriques au régime de redevances » et « différentes formes d’investissements fédéraux dans une ou plusieurs composantes du projet ». Peu importe la surenchère de gâteries, la libérale assurait pourtant que « le gouvernement du Canada n’est pas prêt à subventionner » le gazoduc.

Les Conservateurs, jadis prompts à condamner les cabrioles langagières de McLellan, se sont avérés tout aussi aptes qu’elle à s’afficher contre les subventions aux pétrolières, tout en proposant exactement ça, des subventions. Au couronnement de Stephen Harper, le bruit courait que le consortium gazier ait réclamé 1,5 milliard $ en subventions pour le pipeline, ce que niait vigoureusement Imperial Oil qui insistait préférer des incitatifs fiscaux. Voilà qui tombait à pic vu que, comme l’a confié le ministre Prentice le 23 mai 2006 au dîner annuel de l’Association canadienne de pipelines d’énergie, « des discussions sont en cours avec les promoteurs du projet [Mackenzie] et d’autres intervenants, tels que le Mackenzie Explorer’s Group, au sujet du régime fiscal ».

Il est pour le moins radin de la part des promoteurs du projet – et inquiétant de celle du gouvernement! – de suggérer qu’on abaisse le taux de redevances nordique qui est déjà le plus bas en Amérique du Nord. Le régime du Nord canadien est bien plus généreux avec l’industrie que celui de l’Alaska, par exemple, où le taux de redevances moyen pour les hydrocarbures tourne autour de 12,5 % En vertu du « Règlement sur les redevances relatives aux hydrocarbures provenant des terres domaniales», un document établi en 1988 et qui n’a pas été révisé depuis 16 ans, le Nord offre un commode taux de type « 1/5 ». Il serait bien trop simple que cela puisse signifier 20 %. Le jargon faisant mieux les choses, il faut plutôt comprendre que le taux commence à 1 % et qu’il augmente par la suite de 1 % tous les 18 mois, jusqu’à concurrence de 5 %. Des pinottes.

Les étonnantes rumeurs de rachats lancées par le National Post – qui a réitéré l’information anonyme dès le lendemain des négations de Prentice – ont du bon. Jamais avant cela n’avait-on eu autant d’inside sur les intentions des industriels. Prenez ce commentaire qui a échappé au président du Aboriginal Pipeline Group (APG), Fred Carmichael. « Laissez-moi vous dire qu’il y a des compagnies autour, y compris l’APG, qui serait content avec bien moins que 25 % de retour sur l’investissement », a-t-il dit en parlant de la gourmandise d’Imperial Oil. 25 % !

Nous savons fort bien que les conservateurs tiennent mordicus à connecter par tuyau Tuktoyaktuk et Fort McMurray. Rappelez-vous les paroles de Stephen Harper, l’été dernier : « We will do anything, within the Law, to make sure this goes ahead » (Une position, précisions-le, qui fait paresseusement échos à celle défendue par le Parti libéral, du temps que Stéphane Dion était à l’Environnement. En août 2005, ce dernier, de passage à Yellowknife pour annoncer des travaux de dépollution à la mine Giant, a assuré la presse locale qu’« à moins d’avoir un problème environnemental, nous aurons le pipeline »). Si le pipeline est pour se faire, ce serait la moindre des choses qu’on fasse un brin d’argent avec ça. Ce n’est pas avec des taux de redevance de 5 % qu’on va y arriver, surtout quand l’industrie prévoit un retour sur l’investissement de 25.

Si les conservateurs veulent mettre le territoire en vente, ce serait bien que les gens qui y résident aient un mot à dire sur le prix qu’on mettra dessus.