Quelque 120 ans après la ruée vers l’or, la fièvre du diamant sévit dans le Nord.
Chaque année, des centaines de francophones partent à l’assaut des mines, un choix qui n’est pas de tout repos pour les travailleurs et les communautés.
À la ruée vers l’or des années 1930 succède l’ère du diamant. La main-d’œuvre franco-canadienne afflue elle aussi dans ces contrées lointaines, les yeux pleins d’étoiles, attirée par la promesse de gains considérables.
Yves-André Leblanc est opérateur de machinerie lourde dans la mine de Gahcho Kué, la dernière mine de la région à avoir ouvert en 2016. Il conduit camions, chargeurs et excavatrices de 40, 100 et 200 tonnes. « Ça prend deux échelles pour monter dans ma cabine », précise-t-il. Son rôle : extraire le diamant des entrailles de la Terre. Ses revenus annuels : 150 000 dollars.
Originaire des Îles-de-la-Madeleine, le Québécois de 31 ans a considérablement changé de niveau de vie depuis qu’il travaille dans le domaine minier. Il s’est acheté une maison et un bateau à Yellowknife, où il pratique régulièrement la chasse et la pêche.
Même situation pour Jason Bouderlique, originaire de Vendée en France. À 28 ans, après avoir œuvré pendant un an à Edmonton dans l’industrie pétrolière et avoir perdu son travail suite à la crise, il a rebondi comme soudeur dans la mine Ekati, gagnant jusqu’à 140 000 dollars par an. Dans sa maison achetée l’an dernier, il se voit rester à long terme avec sa femme et sa fille de 1 an : « Tout est plus simple ici. C’est une très bonne ville pour élever sa famille », évalue-t-il.
Des filons à exploiter
Les sous-sols ténois sont riches. La découverte de gisements de diamants en 1991 a relancé l’économie minière de la région, faisant du Canada le 3e producteur de diamants au monde. La première mine, Ekati, a ouvert en 1998. Deux autres ont suivi avec Diavik en 2003 et Gahcho Kué en 2016.
Avec une telle richesse, pas étonnant que Yellowknife soit surnommée capitale nord-américaine du diamant. Les trois mines de la région, situées à quelques centaines de kilomètres de la ville, embauchent près de 3000 travailleurs, faisant du secteur le plus gros employeur du Nord derrière l’administration publique. Les retombées économiques sont considérables pour les services, l’hôtellerie, la restauration, le commerce de détail, le transport et l’immobilier des environs.
Ryan Montpellier, directeur général du Conseil des ressources humaines de l’industrie minière, atteste des conditions très avantageuses offertes par le secteur. « Les salaires sont très compétitifs et les entreprises minières sont très généreuses en termes de bénéfices. Elles n’ont pas le choix si elles veulent attirer et retenir leur main-d’œuvre ». Ajoutez à cela un taux d’imposition parmi les plus bas du pays, et vous voilà avec une coquette somme en poche.
Le secteur pétrolier n’est pas en reste. Khady Koné, directrice générale de l’Association canadienne-française de Wood Buffalo (ACFA) en Alberta, est témoin de la venue de travailleurs dans les sables bitumineux à Fort McMurray, exploités notamment par les géants Suncor et Syncrude. « Les francophones viennent souvent du Québec ou du Nouveau-Brunswick, observe la responsable. Ils sont conducteurs de camion, ingénieurs, employés dans la santé, la construction, les cuisines ou l’administration… »
Le modèle du fly-in, fly-out
Johanne Gagné, originaire du Québec, vit à Yellowknife depuis 10 ans et travaille aujourd’hui comme cuisinière dans la mine Ekati. Elle explique son rythme de travail si particulier : « On travaille deux semaines d’affilée à la mine, 12 heures par jour, puis on a deux semaines de repos. On doit prendre un avion pour s’y rendre, car c’est à 300 km de Yellowknife ».
Ce rythme du fly-in, fly-out est courant dans le Nord. Ryan Montpellier mentionne une étude réalisée en 2015 sur la mobilité interprovinciale des travailleurs : « En 2011, plus de 10 % de la main-d’œuvre minière des TNO et du Nunavut était importée d’autres provinces ». Ces « navetteurs » proviennent surtout de l’Ontario, du Québec, et des Prairies.
Et de la main-d’œuvre, il en faut, car les mines ne doivent pas dormir. « La mine roule 24 heures sur 24, 365 jours par an », explique Yves-André Leblanc. On y travaille de 6 heures du matin à 18 heures, ou bien de 18 heures à 6 heures.
En plus des bonnes conditions d’emploi, la vie au campement est loin d’être spartiate pour ces travailleurs : salles de sport et de récréation, cafétéria, et chambre privée confortable sont au rendez-vous. La compagnie qui l’embauche, De Beers, chef de file mondial du diamant, sait se rendre attractive. Sous terre, Yves-André Leblanc ne ressent donc pas le stress : « C’est très sécuritaire, on est très bien traités. »
Malgré tout, « ce n’est pas un style de vie qui convient à tout le monde », avertit Ryan Montpellier. Pour Jason Bouderlique, jeune papa, concilier son travail avec sa vie de famille est un défi. « J’ai un bébé d’un an. Être deux semaines loin de sa famille, ce n’est pas ce qu’il y a de plus simple ».
Des communautés dépendantes
L’impact de cette vie si singulière n’est pas anodin sur la communauté locale. Khady Koné, directrice de l’ACFA de Wood Buffalo, constate que l’école francophone Boréal à Fort McMurray croît et décroit en fonction des flux de travailleurs, au gré des chantiers qui ouvrent et ferment. « On comptait 14 000 francophones à Fort McMurray, mais une bonne partie a quitté la région après les incendies de 2016 », remarque-t-elle.
En outre, les hauts salaires offerts aux navetteurs font gonfler le prix des logements, au grand dam des locaux. Johanne Gagné en fait les frais : à Yellowknife, sa maison avec trois chambres coute 2500 dollars par mois, et elle doit vivre en colocation avec deux autres personnes. « À moins d’avoir un salaire astronomique, une bonne partie des gens sont dans la même situation », rapporte-t-elle.
L’influx de travailleurs alourdit même la charge qui pèse sur les infrastructures locales, comme les hôpitaux, les centres récréatifs, ou les services de santé. Et les communautés locales ne profitent pas toujours des retombées puisque les navetteurs paient parfois leurs impôts dans leur province d’origine.
Les mines de diamant ne sont pas éternelles, et l’avenir économique des communautés nordiques doit être anticipé. Ce travail se fera désormais avec ceux venus pour un contrat temporaire mais qui décident de rester, conquis par la vie du Grand Nord.