À la fois défenseur de l’environnement et acheteur de pipeline, le gouvernement Trudeau a dévoilé un budget à saveur électorale.
Le 4e budget du ministre des Finances Bill Morneau vise à démarquer son parti des conservateurs en s’inspirant de la pensée néodémocrate. Le budget, révélé le 19 mars, détaille aussi des avancées peu concluantes en langues officielles. « L’espoir qu’on avait en novembre [lors de l’énoncé budgétaire 2018] s’est éteint hier », déclare le président de l’Association de la presse francophone (APF), Francis Sonier. « On espérait que le Programme de crédit d’impôt sur la masse salariale serait bénéfique pour l’ensemble de nos membres, mais la plupart ne pourront pas en profiter. »
Les membres déjà récipiendaires d’un autre financement, l’Aide aux éditeurs du Fonds du Canada pour les périodiques, ne sont pas admissibles au crédit de 25 % sur les salaires visant un appui à la production et à la rédaction. Avec ses 350 millions sur cinq ans, il s’agit du principal investissement du nouveau programme de Soutien au journalisme canadien.
Aucun soutien pour la plupart des journaux
Ce n’est pas tout : les journaux non admissibles au programme d’Aide aux éditeurs, mais susceptibles de se qualifier pour un crédit d’impôt, doivent compter au moins deux journalistes. « On représente des petits journaux, souligne Francis Sonier, la plupart ne sont pas admissibles parce qu’ils ont un seul journaliste ou des pigistes et des contractuels. »
« On pensait que ce budget allait les aider, poursuit le président du regroupement de 23 journaux. Ce n’est pas réjouissant que la plupart ne recevront aucun soutien. Plusieurs sont déjà dans une situation précaire. »
La mobilisation de l’Association est relancée. « On est en mode de démarchage pour rejoindre des politiciens, conclut Francis Sonier. Il va y avoir des rencontres avec Patrimoine canadien et Langues officielles. Il faudra bouger vite. »
Les quelques journaux membres de l’APF admissibles au nouveau programme devront patienter avant de recevoir des crédits d’impôt puisqu’Ottawa n’a pas encore nommé le comité indépendant chargé de définir les critères d’admissibilité.
« Le gouvernement a signalé une intention d’agir »
D’autres secteurs de la francophonie sont touchés par le budget. Une nouvelle enveloppe de 21,6 millions est débloquée pour l’application de nouvelles dispositions de la Loi sur le divorce, adoptée à la fin de 2018 et désormais en vigueur dans la plupart des provinces.
« Nos juristes d’expression française ont travaillé très fort à faire modifier la loi pour qu’on puisse divorcer en français au Canada, souligne le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson. Cette avancée, elle leur appartient. »
La FCFA salue aussi la bonification du Programme des langues officielles dans l’enseignement. La hausse annoncée n’est pas chiffrée et les négociations ne sont pas encore terminées entre Patrimoine canadien et les provinces et territoires. Les ententes en éducation sont gelées depuis 2003 à 1,3 milliard.
Le président Johnson se réjouit de l’engagement fédéral d’inclure aux accords de nouvelles clauses de reddition de compte et de consultation avec les communautés. « Au fil des ans, les besoins en éducation ont augmenté, mais pas les investissements. À cet égard, nous avons l’impression que le gouvernement a écouté ou en tout cas signalé une intention d’agir. »
Le budget Morneau centré sur le scrutin d’octobre ajoute 4,2 milliards de dollars de nouvelles dépenses et un déficit de 19,8 milliards dès 2020. L’équilibre budgétaire est écarté pour prévenir, selon les libéraux, le plongeon dans l’austérité et la récession qui suivraient un retour au pouvoir de conservateurs.
« L’importance d’investir dans la classe moyenne »
Le discours de la croissance domine. « Depuis le début, clame le ministre des Finances, nous avons décidé qu’il est très important d’investir dans la classe moyenne au Canada. » Une mesure phare est l’introduction d’un régime d’assurance pour les médicaments. Ottawa investira 35 millions dans la création d’une agence nationale.
Une nouvelle Allocation canadienne pour la formation permettra aux travailleurs d’accumuler jusqu’à 5000 $ de crédits d’impôt sur cinq ans. Le plan de 1,5 milliard de dollars prévoit un revenu pour le retour aux études afin de progresser dans un poste ou de s’adapter dans une carrière.
Le fédéral offre aux millénariaux l’occasion d’acheter une maison grâce à un incitatif pouvant s’élever à 10 000 $ dans le cadre du Régime d’accès à la propriété. Les citoyens pourront aussi obtenir une remise de 5000 $ pour l’achat d’une voiture électrique ou à hydrogène de moins de 45 000 $. De plus, Ottawa promet l’accès universel à l’internet de haute vitesse d’ici 2030, même en milieu rural.
L’énoncé de Bill Morneau comprend un investissement majeur de 4,5 milliards sur cinq ans dans la réconciliation avec les Autochtones pour améliorer leurs conditions de vie. Enfin, il soulage les agriculteurs aux prises avec des changements au système de la gestion de l’offre : 3,65 milliards de dollars seront consacrés en grande partie à une compensation pour l’ouverture du marché à des produits étrangers.
Aux TNO
Le fédéral investira 700 millions de dollars (700 M$) sur 10 ans dans le Nord pour les infrastructures, les programmes de développement économique, la recherche et l’éducation postsecondaire. La répartition selon les secteurs et les territoires reste à éclaircir. Le budget fait en outre état de sommes déjà annoncées pour la centrale hydroélectrique Taltson (18 M$) et pour le parc éolien d’Inuvik (30 M$).
D’autres enveloppes budgétaires sont consacrées à l’éducation (voir autre texte) et aux langues autochtones (333,7 M$ sur cinq ans).
La très grande nouvelle du budget pour le chef national déné, Norman Yakeleya, est que le gouvernement fédéral pardonne les dettes du Conseil tribal gwich’in, du Secrétariat du Sahtu et du gouvernement tlicho générées par les négociations territoriales. « C’est environ 100 M$, précise-t-il. C’est une grosse annonce dans l’optique de la réconciliation. C’était un problème de longue date pour les Dénés, nous avions à payer pour négocier notre propre terre. »
Les détails de cette entente restent à régler et la façon dont elle influencera le processus d’emprunt pour les négociations des Premières Nations du Dehcho et de l’Akaitcho n’est pas encore déterminée.
La grande question qui reste à régler pour les Dénés, de dire M. Yakeleya, est maintenant la formule de financement des Territoires (FFT). Le chef des Dénés dit que son peuple veut recevoir directement les sommes qui lui sont dues sans passer par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (GTNO). « Le GTNO s’est assez occupé de nous, dit-il [….] Ce système colonial ne fonctionne pas pour nous. »
M. Yakeleya déplore notamment les ratés du GTNO dans la protection de l’enfance et dans l’éducation, alors que la formation d’un élève de 12e année du Nord est considérée comme celle d’une 9e année dans le Sud.
Il s’insurge en outre que le GTNO utilise au passage une partie des sommes dues aux gouvernements autochtones pour payer des administrateurs.
Plusieurs démarches ont été lancées pour changer cette situation, entre autres dans le Cadre de reconnaissance des droits autochtones. « Le GTNO est d’accord, mais à condition que ce soit selon ses termes, signale le chef. » En 2019-2020, la FFT atteindra 3,9 milliards $, à partager entre les trois territoires.
Économie traditionnelle inuite
De son côté, dans un communiqué de presse qui est plus ou moins un facsimilé de celui d’Inuit Tapiriit Kanatami, la Société régionale inuvaluite (SRI) s’est déclarée satisfaite des sommes dévolues aux Inuits. « Nous accueillons positivement les investissements pour les Inuits dans le domaine de la prévention du suicide, de l’éducation et de la santé et des services sociaux pour les enfants inuits », écrit le directeur et président de l’organisme, Duane Ningaqsiq Smith.
Il approuve aussi les investissements dans Nutrition Nord (62,6 millions de dollars sur cinq ans à compter de 2019-2020) annoncés fin 2018, tout comme Norman Yakeleya. Ce dernier approuve le fait que le programme couvre maintenant des activités de subsistance traditionnelle comme la trappe et la cueillette de plantes médicinales.
« Nous appuyons les projets d’économie traditionnelle », dit M. Norman Yakeleya.
Chez les conservateurs
Pour Cathy Mcleod, chargée des relations Couronnes-Autochtones et des affaires du Nord dans le cabinet fantôme du Parti conservateur, le gouvernement fédéral a dépensé 41 milliards de dollars en nouvel argent pour distraire les Canadiens, de ses problèmes de justice et de l’indépendance de la procureure générale du Canada.
Mme McLeod considère que concernant le Nord, le budget est un ramassis de petites sommes de différents programmes déjà annoncées, sans nouvelle injection.
« Il n’y a pas encore de Cadre stratégique pour l’Arctique, analyse-t-elle, ils ont simplement reformaté de vieux programmes. Cela rend juste plus difficile le développement économique dans le Nord. »
« Ce qui m’a particulièrement déçut, souligne Mme McLeod, c’est la taxe carbone. Ils n’ont rien fait pour aider les habitants du Nord, alors que ces derniers font face à de nombreux défis avec le prix de l’essence et de la nourriture. »