Les histoires à succès découlant du programme d’embauche à l’étranger Mobilité francophone auraient contribué à inspirer nombre d’employeurs, tant bilingues qu’anglophones, devant ce que le monde entier aurait à leur offrir.
Thomas Ethier
IJL – Réseau.presse – L’Aquilon
Les Territoires du Nord-Ouest ont atteint en mars un taux d’emploi record de 73,7 %, le plus élevé au pays. Signe d’une reprise économique forte, cette statistique se traduit en fardeau pour nombre d’entreprises qui peinent à pourvoir leurs postes et à livrer la marchandise. Une solution émerge toutefois au-delà des frontières canadiennes, dont la communauté d’affaires francophone se ferait l’instigatrice.
Obstacle de longue date à la croissance et aux activités régulières de plusieurs entreprises, la pénurie atteindrait aujourd’hui des sommets, et ce, partout au pays. D’une certaine manière, la situation n’a pas que des mauvais côtés, selon ce qu’explique le directeur général du Conseil de développement économique des TNO (CDÉTNO), François Afane.
Recherche active à travers le monde
« Normalement, une telle pénurie de main-d’œuvre signifie que la reprise économique est plus forte et que les employeurs sont obligés de se battre pour répondre à la demande et pourvoir les postes offerts, explique-t-il. Comme ailleurs au pays, la reprise économique qui suit la sortie de pandémie est vraiment très forte, et nous battons des records. Sur le plan de l’embauche, la demande est beaucoup plus forte que nous l’avons anticipé. »
Suivant son mandat d’accroitre le bassin de main-d’œuvre bilingue aux TNO, le CDÉTNO favorise aujourd’hui l’option encore peu explorée de recruter les employés là où ils se trouvent, avant même leur arrivée au pays. « Beaucoup d’entreprises qui avant étaient réticentes à recruter des travailleurs étrangers se tournent aujourd’hui vers l’immigration. Les employeurs sont beaucoup plus ouverts aujourd’hui à considérer faire venir la main-d’œuvre immigrante qualifiée dans des domaines spécifiques. »
François Afane est le directeur général du Conseil de développement économique des TNO. Le CDÉTNO a pour mission, entre autres, d’attirer et d’accompagner les nouveaux arrivants aux TNO, et d’appuyer le développement d’une main-d’œuvre bilingue. (Crédit photo : Denis Lord)
Un privilège francophone
Il serait toutefois laborieux, voire risqué, d’entreprendre le processus, compte tenu de la lourdeur bureaucratique associée au processus, qui contribuerait à en décourager plusieurs. Sur ce plan, la francophonie part avec une longueur d’avance, grâce au programme Mobilité francophone, qui épargne notamment aux recrues certaines des étapes administratives normalement associées à l’obtention d’un permis de travail. Le résultat aurait d’ailleurs pour effet d’inspirer certains employeurs unilingues.
Plus encore, en l’absence d’autres programmes aux TNO, il serait impossible pour certains employeurs d’envisager cette option. Aux yeux de Mark Henry, propriétaire du restaurant Copper House de Yellowknife, le gouvernement accuse un sérieux retard en la matière. « Si j’étais au Yukon, je pourrais faire prendre l’avion à un nouvel employé en deux semaines. Leur gouvernement, comme ceux de certaines provinces, a su collaborer avec Ottawa et créer un programme efficace. Aux TNO, en dehors de Mobilité francophone, ce n’est tout simplement pas possible », affirme-t-il.
C’est sous ce programme, limité aux travailleurs qui maitrisent le français, que le Copper House a recruté l’un de ses cuisiniers, originaire du Maroc. « Le mécanisme susceptible de sauver l’industrie de la restauration aux TNO, c’est l’immigration. C’est un fait, tout le monde est d’accord. Le gouvernement des TNO n’a jusqu’ici pris aucune initiative en ce sens, déplore l’employeur, malgré une pénurie bien réelle. En dehors de Mobilité francophone, qui est très restrictive, rien n’est en place pour nous permettre de recruter à l’étranger dans un délai raisonnable. »
« Cette situation désavantage grandement les employeurs des TNO, et contribue à l’augmentation considérable du cout de la main-d’œuvre pour des établissements qui souhaitent demeurer compétitifs, ajoute M. Henry, qui parle d’une augmentation atteignant les 70 % au cours de la dernière année. Je connais des travailleurs hautement qualifiés à travers le monde qui ne demandent qu’à venir travailler à Yellowknife, mais ce n’est pas possible, faute de programme efficace. »
Un modèle convoité
Comme l’explique Terry Rowe, président de la chambre de commerce de Hay River – et ancien gérant de l’hôtel Ptarmigan Inn, qui a recruté certains travailleurs de l’étranger –, les initiatives découlant du programme Mobilité francophone feraient tourner les têtes de toutes parts. « Nous avons réussi à faire venir un bon nombre d’employés de l’étranger à Hay River. Environ cinq d’entre eux sont issus du programme Mobilité francophone, et nous avons été en mesure d’apprendre de ce programme, notamment en discutant avec le CDÉTNO », souligne-t-il.
La voie empruntée par les précurseurs serait toutefois cahoteuse, et M. Rowe réitère ses mises en garde. « Nous avons travaillé à explorer les possibilités en matière d’embauche à l’étranger, afin d’éduquer les entreprises d’ici quant à la procédure, aux délais et aux couts. C’est un long processus, qui peut prendre plus d’un an, et le résultat n’est pas garanti, souligne-t-il. Je recommande certainement aux entreprises d’explorer cette avenue si elles en ont les moyens, mais l’embauche locale demeure très importante. »
Les TNO, derniers servis
La sortie de pandémie est encore récente. L’ouverture des frontières du territoire, mais également du Canada, saura-t-elle attirer la main-d’œuvre et atténuer la pénurie ? L’attente risque de décevoir, selon M. Afane. « L’une des particularités des TNO, c’est que nous sommes une destination de deuxième et troisième immigration. Si les employeurs d’ici ne font qu’attendre la main-d’œuvre immigrante, ils seront les derniers servis au pays », explique-t-il.
« La grosse partie des personnes immigrantes attendues au Canada vont d’abord s’établir dans les grands centres, au sein des provinces. Gardons en tête que la pénurie de main-d’œuvre atteint également ces marchés, poursuit le directeur. Les employeurs des villes vont avoir l’occasion de se servir avant les employeurs du Nord, et nous risquons ainsi de nous retrouver, en quelque sorte, avec les restes. »