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le Vendredi 18 août 2006 0:00 Éditorial

La tradition de se paqueter

La tradition de se paqueter
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Comme cela arrive constamment, vendredi dernier, un bar des TNO s’est fait prendre en flagrant délit de désobéissance à la Loi sur les alcools. Les clients ont étés évacués et le permis de l’établissement a été suspendu sur-le-champ. La faute?

«Surachalandage ». Il y avait plus de clients à l’intérieur que la limite prescrite.

L’anecdote serait sans intérêt si ce bar n’avait pas été le Wild Cat Café, le célèbre bistro du vieux Yellowknife dont le Musée canadien des civilisations, à Gatineau, garde jalousement une réplique pour son exposition permanente consacrée à l’histoire canadienne. Eh oui, le Wild Cat Café, ce bar-shack qui fut le premier resto de notre capitale et sur la porte duquel on peut lire cette mise en garde rustique : « Nos places assises sont limitées, mais pour conserver l’esprit pionnier dans lequel Yellowknife a été fondé, nous vous invitons à profiter de l’hospitalité du Cat en vous joignant à la table de quelqu’un d’autre. » J’adore.

Se paqueter (dans le sens d’entasser, bien sûr) entre les murs exiguës du Wild Cat est une tradition vieille de 70 ans aux Territoires du Nord-Ouest. Fermer cette vénérable institution de la restauration nordique pour cause de surachalandage, c’est comme interdire l’accès à la tour de Pise parce qu’elle penche.

D’accord, la Loi est là pour une bonne raison et les zélés inspecteurs qui la mettent en application ne font que leur dur métier. Si l’on fixe à 32 le nombre de clients maximal admis dans l’enceinte du Cat, c’est parce qu’au-delà de cette limite ce serait dangereux en cas d’incendie. N’empêche, je ne peux m’enlever de la tête que même si des dizaines d’énervés se tuent chaque année en faisant des sports extrêmes, on laisse le premier zigoto qui en a envie se tirer en bas d’une falaise avec rien d’autre qu’ un petit morceau de toile sur le dos; qu’on fixe à 16 ans l’âge à partir duquel un Canadien est apte à conduire la machine qui, année après année, demeure la principale cause d’accidents mortels au pays; et qu’un simple panneau orné de l’inscription « Plage sans surveillance, baignade à vos propres risques » suffit à laver de toute responsabilité une municipalité qui n’a pas les moyen de se payer un maître-nageur.

Pourtant, nous sommes, semble-t-il, encore trop imprudents pour pouvoir choisir de fréquenter de temps à autres ne serait-ce qu’un seul petit bar patrimonial un peu trop bondé.