Il y a quelque chose d’absolument tragique dans les présents déboires de la station de radio communautaire autochtone CKLB.
Le premier août, «la voix du Denendeh», comme elle se nomme elle-même, a dû mettre à la porte 11 employés, soit la presque entièreté de son personnel, par manque de fonds. La radio est toujours en ondes, mais elle fonctionne sur le pilote automatique. Ce n’est plus qu’une coquille vide.
Pour les artisans des médias nordiques, groupe dans lequel je m’inclus volontiers, ça fait mal à voir. Ce sont nos collègues, nos amis qui perdent leur emploi. On se sent impuissant.
Mais, toutes considérations d’esprit de corps à part, que cette station en particulier, CKLB, soit victime d’une extinction de voix est un véritable drame. Permettez-moi d’insister.
Je tiens, ici, à préciser que ne suis pas de ceux qui soutiennent que la réduction (selon ce qu’on nous dit) du financement public de CKLB soit une énième démonstration de l’ignominie des affameurs d’Ottawa, ou même un sinistre complot ourdi contre un média jugé trop dérangeant. En fait, comme administrateur d’une station de radio communautaire, je dois dire que j’ai été plutôt surpris d’apprendre que mes confrères pouvaient jusqu’à récemment compter sur un financement annuel de 620 000$ de la part de Patrimoine Canadien. À mon sens, à part évidemment Radio-Canada, aucune autre antenne canadienne ne jouit d’un pareil soutien de l’État.
Mais voilà, CKLB n’est pas une radio communautaire comme les autres. C’est une radio communautaire qui opère sur un territoire grand comme deux fois et demi la France. C’est une radio communautaire qui entretient – pardon, entretenait – une salle de presse de quatre reporters à temps plein. C’est une radio communautaire qui produit une programmation de grande qualité, dont l’émission d’affaires publiques The Ends of the Earth, pionnière en matière de vulgarisation des enjeux territoriaux autochtones contemporains… et qui vient d’être sortie d’ondes.
C’est surtout la seule radio communautaire qui, à chaque jour, parle chipewyan, tlicho, esclave du nord et, jusqu’à récemment, gwich’in. Pas juste les nouvelles traduites, là; de la véritable programmation dans ces langues, d’un bout à l’autre du territoire.
Les artisans de CKLB font pour les langues de chez nous ce que le gouvernement ne fait pas: ils leur donnent une vie publique, ils en font des langues vivantes, des langues légitimes.
Pour une tradition orale, CKLB, c’est le dernier rempart contre l’assimilation. Et quand les voix dénées de CKLB se taisent, c’est tout un peuple qu’on étouffe.
Alors, oui, ce financement exceptionnel était tout à fait mérité. Il était nécessaire. Pour tout dire, il était insuffisant. Il faut d’urgence qu’il soit rétabli, majoré, célébré et que les voix de CKLB retrouvent au plus tôt leurs micros. Il en va de la survie même de notre culture ténoise.