C’est avec une vive émotion que nous avons appris, plus tôt cette semaine, le décès d’un grand ami du Nord, l’anthropologue, auteur et communicateur Serge Bouchard. Le mammouth laineux était un favori des Ténoises et des Ténois.
Bien sûr, Serge Bouchard était un passionné de nordicité et son œuvre aura donné à plus d’un le désir des hautes latitudes. Le conteur disait la forêt boréale, les épinettes noires, la baie d’Hudson et les peuples qui habitent ces territoires. Il y a certainement parmi notre communauté plusieurs déroutés qui ont atteint notre bout du chemin en suivant le sillon que leur avait tracé le camion de Serge Bouchard. Mais ce n’est pas pour ça que nous commémorons son décès.
Évidemment, Serge Bouchard savait qui nous sommes. Il nous avait rendu visite à deux reprises au cours de la dernière décennie. En 2010, il était venu prononcer une conférence à l’occasion d’une rencontre ministérielle. Quelques années plus tard, il faisait salle comble à l’occasion d’une série de deux causeries présentées à l’initiative de l’Association franco-culturelle de Yellowknife. Ces évènements avaient favorisé des rapprochements entre les communautés dénée et franco-ténoise. Mais ce n’est pas non plus ce qui nous pousse à lui rendre hommage.
Le dernier lieu commun de cette règle de trois, c’est que Serge Bouchard nous parlait droit au cœur, à nous, les Ténois. Jusqu’à tout récemment, Radio-Canada n’existait à peu près pas aux TNO, et surtout, les TNO n’existaient pas à Radio-Canada. Lorsque nous tendions l’oreille en direction de la radio d’État, notre réalité, notre quotidien, notre existence n’étaient jamais évoqués. Jamais, sauf en ces rares moments de grâce où, sans qu’on puisse trop y croire, retentissait une voix rassurante qui se mettait à nous entretenir du Grand lac des Esclaves, des Chipewyans, de Thanadelthur, du Fort Résolution ou du fleuve Dehcho, de chez nous. Cette voix inespérée, reconnaissable entre mille, c’était celle de Serge Bouchard, le seul dans toute la tour qui se souvenait que nous existions. Serge Bouchard nous racontait notre histoire et notre existence et il le disait au reste du pays, dans notre langue. Il nous menait à redécouvrir notre territoire, à en être curieux, à en être fier. Il nous a fait entendre que nous étions du monde pour de vrai et a ainsi contribué à légitimer notre existence comme communauté culturelle.
Et c’est pour ça que nous tenions tant à lui souhaiter bon voyage. Payez la terre en partant, M. Bouchard. Marsi cho !