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le Jeudi 3 juin 2021 16:26 | mis à jour le 20 mars 2025 10:41 Éditorial

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C’est avec effroi que nous avons appris le recensement de quelque 215 cadavres d’enfants sur le terrain d’un ancien pensionnat indien en Colombie-Britannique. L’idée d’un charnier au Canada venait à jamais briser l’illusion d’un pays fondé sur les droits de l’homme et le respect des peuples.

Plusieurs ont encaissé la nouvelle avec stupéfaction. Comme de nombreuses autres organisations, la Fédération franco-ténoise a émis, cette semaine, un message de solidarité dans lequel l’organisme porte-parole des francophones des TNO se dit ébranlé par «cette tragédie d’une dimension inimaginable». Inimaginable. Le mot est lâché. Or, si la réalité de centaines d’enfants morts inhumés en secret sans cérémonie ni monument fait frissonner de dégout et de rage, cela n’a malheureusement rien d’inimaginable. En fait, si cette horreur est d’une tristesse inouïe, elle est aussi d’une évidence implacable.

Nous entendons de telles histoires de la bouche de survivants depuis des décennies. Dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, publié en 2015, un volume entier est consacré aux enfants décédés dans les pensionnats, des enfants dits «disparus» puisque leurs dépouilles n’avaient jamais été remises aux familles. Le rapport suggère que jusqu’à 6000 enfants sont ainsi décédés dans ces institutions. Déjà en 1907, le Rapport Bryce commandé par ce qu’on appelait à l’époque le Département des Affaires indiennes révélait des taux de mortalité jusqu’à 25 % dans les pensionnats indiens du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest (qui comprenaient alors l’Alberta et la Saskatchewan). Un sur quatre.

Si cette information surprend, c’est parce qu’on ne souhaite pas l’entendre, parce que, soyons honnêtes, nous avions en main tous les indices. Bien sûr qu’il y a des fosses communes. Évidemment que nous en trouverons d’autres.

Cela nous rappelle l’importance de nous renseigner sur ce pan de notre histoire qu’on a trop longtemps tu. Nous devrions tous lire le rapport de la Commission de vérité et réconciliation — et si l’on n’aime pas trop la lecture, c’est aussi disponible en version audio. Aucun Canadien ne devrait plus ignorer ces histoires.

Aux Territoires du Nord-Ouest, où environ un résident sur deux est ou bien un survivant des pensionnats ou un membre de la famille d’un survivant, nous avons une longueur d’avance sur le reste du pays en la matière. Ici, l’histoire des pensionnats est au programme obligatoire dans les écoles depuis quelques années déjà. Bientôt, ce sont nos enfants qui pourront corriger notre ignorance.

Nous pouvons nous féliciter de cette voie que nous avons entreprise vers la réconciliation, mais nous ne pouvons pas dormir sur nos lauriers non plus. Parce que nous connaissons cette réalité, il nous faut mettre en œuvre dès maintenant les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et ne céder devant aucun compromis pour que nos compatriotes obtiennent justice. On doit aussi réclamer des églises impliquées qu’elles ouvrent leurs registres pour qu’on sache enfin combien d’enfants exactement ont péri dans ces institutions mortifères, qu’on connaisse leurs noms et aussi ce qui est advenu de leurs dépouilles.

Avec l’émancipation de la connaissance vient la responsabilité de la conscience. Nous ne pouvons plus feindre l’innocence.