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le Vendredi 20 mars 1998 0:00 | mis à jour le 9 mai 2025 9:09 Éducation

C’est pas sorcier ! À Iqaluit, le chamanisme inuit sort de la clandestinité

C’est pas sorcier ! À Iqaluit, le chamanisme inuit sort de la clandestinité
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C’est une première dans l’histoire des Inuit canadiens! Un cours de 3 semaines est présentement offert aux étudiants du Programme d’études inuit du Collège Arctique du Nunavut sur le chamanisme traditionnel. Bernard Saladin d’Anglure, professeur au département d’anthropologie de l’Université Laval et spécialiste reconnu sur cette question doit présenter aux étudiants un aperçu des acquis scientifiques sur le chamanisme inuit tandis que Lukasie Nutaraluk d’Iqaluit et Mariano Aupilarjuk de Rankin Inlet répondront aux questions des étudiants du point de vue de la tradition orale. Le cours a débuté le 9 mars et se terminera le 27.

Susan Sammons est directrice du programme d’Études inuit au Collège arctique du Nunavut et est en grande partie responsable de la mise sur pieds du cours. « Ce sont les étudiant(e)s qui déterminent les sujets que l’on va aborder dans les cours de culture traditionnelle, explique-t-elle. Dans le cas du chamanisme, ce sont les étudiant(e)s qui ont suggéré des noms d’aînés à inviter, nous on s’occupe d’aller chercher des compétences dans le monde académique. »

Le cours offert sur le chamanisme fait partie d’un ensemble de cours du même genre traitant de différents aspects de la tradition orale inuit. L’approche pédagogique retenue consiste à présenter et à confronter tout à la fois les connaissances provenant des aînés et des milieux académiques. Grâce à la collaboration des étudiant(e)s, ces cours sont d’abord transcrits et ensuite traduits en anglais et en inuktitut pour être éventuellement publiés.

Un premier cours de cette série introduisait les étudiants à l’importance de la tradition orale et aux principales techniques d’entrevues et de collecte de données.

Un autre concernait les approches de médecine traditionnelle chez les Inuit. Il a été réalisé avec la collaboration de Michèle Therrien, directrice du programme d’Études inuit de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO) à Paris.

Un troisième cours s’intéressait aux pratiques traditionnelles d’éducation des enfants dans la famille inuit. À cette occasion, on a rassemblé des jeux et des contes pour enfants.

Le cours sur le chamanisme est le cinquième de la série. C’est un sujet délicat. Il s’agit là d’un thème tellement central à la vision du monde et au mode de vie traditionnel inuit que tous les observateurs étrangers à la culture inuit en ont relevé l’importance. Par ailleurs, les aînés inuit qui parfois peuvent même se rappeler jusqu’à aujourd’hui avoir participer à des séances chamaniques ou qui ont pu à la rigueur être chaman eux-mêmes, se sont convertis au christianisme depuis belle lurette.

John MacDonald est directeur du Centre de Recherche d’Igloolik et a grandement contribué à la collecte d’histoire orale dans sa communauté. « Quand on s’intéresse à la culture inuit, on ne peut pas passer à côté du chamanisme, raconte-t-il au téléphone avec son accent écossais. Les Inuit se sont souvent convertis de bon gré au christianisme en sachant ce qu’ils faisaient. Les aînés ont cru vraiment dans leur nouvelle religion et pour eux le chamanisme, c’est quelque chose du passé auquel ils ne veulent plus revenir. Mais pour leurs petits enfants ce sera sans doute différent. »

John MacDonald utilise le terme « supprimé » pour décrire le destin des pratiques chamaniques après la christianisation. Selon lui, il est faux de prétendre que les Inuit étaient terrorisés par les chamans.

« Il y en avait des bons et des mauvais, explique-t-il. Surtout ici autour d’Igloolik, la communauté faisait confiance à ses chamans. C’était des guérisseurs, c’est à eux qu’on s’adressait pour trouver du gibier, pour chasser le mauvais temps… Le bon chaman cherchait à aider sa communauté. »

Des recherchistes de l’émission « Découverte » de la télévision française de Radio-Canada ont flairé l’affaire de loin! Une équipe de reportage sera à Iqaluit du 14 au 17 mars prochain afin de monter un document sur ce sujet à l’intention de leur public.

Stéphane Kolb, collaborateur occasionnel à l’Aquilon, est étudiant au doctorat avec Bernard Saladin d’Anglure au département d’anthropologie de l’Université Laval. C’est lui qui animera la troisième semaine de ce cours à Iqaluit. « Bernard a été agréablement surpris de l’invitation, nous a-t-il confié, c’est un événement assez extraordinaire, surtout à la veille de la création du nouveau gouvernement du Nunavut. C’est important que les Inuit se rapproprie leur propre tradition! »