Les «douze salopards», ces polluants organiques rémanents (POR) que la communauté internationale a pointé du doigt en mai dernier lors de la signature de la Convention de Stockholm, sont bien connus des chercheurs canadiens. Ce qui l’est moins, c’est la découverte de nouvelles substances chimiques et la recrudescence de métaux lourds dans les organismes vivants du Grand Nord canadien. Le Programme de lutte contre les contaminants dans le Nord (PLCN) change son fusil d’épaule et se penche sur de nouveaux paramètres jusqu’alors méconnus.
Le brochet, la truite de lac et le barbot du Grand lac des Esclaves et de la rivière des Esclaves sont sous haute surveillance depuis avril 1999. « Le mercure est une substance préoccupante au Nord », explique Carole Mills, gestionnaire à la Division des contaminants, au ministère des Affaires indiennes et du Nord Canadien. « Il est naturellement en forte concentration dans les lacs. Mais nous avons constaté une augmentation du mercure en provenance de l’atmosphère. » Cette étude du PLCN, dirigée par Marlene Evans, de l’Institut de recherche nationale des eaux (Environnement Canada), vise à déterminer les tendances des POR et des métaux lourds chez ces espèces aquatiques.
Selon la spécialiste d’Environnement Canada, le Grand lac des Esclaves et la rivière des Esclaves ont une importance stratégique. La rivière, qui se jette dans le lac, prend sa source dans la rivière Athabasca, qui coule en Alberta. Les industries de sables bitumineux, les moulins à papier et les agriculteurs en aval du cours d’eau déversent plusieurs polluants qui suivent le courant jusqu’au Nord. « Nous observons les variations de contaminants à deux points stratégiques, soit Lutsel’ Ke et Fort Resolution », indique Marlene Evans.
L’évolution des composants chimiques est calculée selon des bases de données compilées au cours des années 1980 et 1990. Le Canada, fort de ces études qui ont mis en lumière la présence anormale d’organochlorés et d’hydrocarbures aromatiques polycycliques, comme les BPC ou le DDT, dans le Grand Nord, administre le Programme de lutte contre les contaminants dans le Nord depuis 1991. La surveillance des tendances et la communication des résultats de recherche aux communautés constituent les quelques 100 projets du programme.
La recrudescence de métaux lourds n’est pas la seule donne qui inquiète les spécialistes. « Il y a de nouveaux contaminants dont nous ne connaissions pas l’existence auparavant, comme différentes formes de paraffine », explique Carole Mills. « Nous devons maintenant les examiner de plus près. » Une présence d’autant plus marquée que ces contaminants sont bannis depuis plusieurs années au pays. Utilisés dans certains pays aux températures tropicales, ils s’évaporent, se déplacent dans l’atmosphère et se déposent dans les régions arctiques du globe. La rencontre de 127 pays en Suède a sonné le glas des POR. La Convention de Stockholm doit être ratifiée par cinquante pays .
Un bémol
Certains produits chimiques, comme le DDT, présentent des avantages pour des pays en voie de développement, qui n’ont pas les moyens d’utiliser des substituts qui sont parfois plus chers. Le DDT, par exemple, est toujours répandu sur les terres africaines car il élimine certains insectes porteurs de virus mortels. « C’est la réalité », exprime Carole Mills. « Vous bannissez le DDT et des millions d’Africains meurent en deux semaines, ou vous ne le bannissez pas et des effets secondaires se font sentir par 50 000 personnes au pôle Nord. »
La position du Canada, qui est le seul pays jusqu’à maintenant à avoir signé et ratifié la Convention le même jour, est à revoir, selon la spécialiste des contaminants. « En tant que riche pays industrialisé, il faut que nous aidions les autres pays, en soutenant la recherche. » Le Canada a déjà enclenché le processus en mars 2000 en créant un fonds de 20 millions de dollars pour aider les pays en voie de développement à gérer les POR. Carole Mills est confiante. « Il y a cinq ans, quand nous avons amorcé le mouvement, nous pensions avoir besoin de 10 à 20 années pour que les autres pays se rendent compte du problème. Tout s’est fait très rapidement ».