La première grande joute de l’examen du Projet gazier du Mackenzie (PGM) s’est déroulée cette semaine, à l’hôtel Explorer de Yellowknife.
De dimanche à mercredi, les parties enregistrées comme intervenants ont interrogé la cohorte d’experts déployée par Imperial Oil et les autres promoteurs du Projet. Le but : déterminer la suffisance ou le manque d’informations nécessaires pour entamer des audiences publiques.
Tour à tour les intervenants ont indiqué les points pour lesquels Imperial n’aurait pas, selon eux, assez fourni de renseignements. Ce sont les intervenants issus du secteur non gouvernemental qui ont le plus souvent monté sur l’estrade. Il semblait évident pour le World Wildlife Fund, le Pembina Institute, le Canadian Arctic Resources Committee et Alternatives North, pour ne nommer que ceux-là, que plus de données doivent être fournies.
Le représentant du Pembina Institute a présenté les résultats d’une recherche qui démontrerait que, pour maintenir le gazoduc à flot, d’autres puits devront être forés dans la mer de Beaufort et dans la régions de Colville Lake. Les effets cumulatifs de ces développements engendrés par la mise en chantier du PGM n’ont pas été évalués par Imperial, a fait remarquer l’ONG. « Nous ne pouvons pas spéculer des intentions des autres développeurs gaziers, a rétorqué un représentant des promoteurs. Dans l’industrie, nous ne partageons pas ce genre d’information, car nous sommes en compétition. » Il a ajouté qu’il n’était pas possible de juger de l’impact de quelque chose qu’ils ignoraient.
Un conseiller environnemental de Fort Providence a indiqué le manque d’information sur l’impact qu’aura l’augmentation du trafic fluvial dans la vallée du Mackenzie. Plus tard durant la semaine, Fort Providence et Imperial se sont entendus pour statuer qu’effectivement ces informations manquaient, mais que les résultats d’une étude portant sur ce sujet seront révélés au courant des prochains mois.
Pour le World Wildlife Fund, le biologiste Peter Ewins a signalé que l’intégrité de nombreux sites que cherche à protéger le WWF dans le cadre de la Stratégie des aires protégées du Mackenzie pourrait être menacée par le PGM, contredisant ainsi les conclusions du consortium gazier. Il a, entre autres, mentionné le site de Bear Rock, situé près de la communauté de Tulita, dans la région du Sahtu. Il s’agit d’un lieu sacré pour les Dénés.
Pour sa part, Stephen Hazell, qui dirige la campagne Mackenzie Wild du Sierra Club du Canada, a demandé que soient menées des études approfondies sur certains mammifères de la région. Il a notamment mentionné le caribou des bois et le carcajou, des espèces qui ont été décimées par des développements du même acabit ailleurs au pays. « La vérité est que les carcajous ne résistent pas à une fragmentation intensive de leur habitat, comme cela se prépare en ce moment dans la vallée du Mackenzie », a insisté Hazell.
Suzette Montreuil d’Alternatives North a remis en cause l’utilisation juste du principe de durabilité dans l’Énoncé d’incidence environnementale, le document préparé par les promoteurs qui détaille les impacts du mégaprojet. À mi-mot, les promoteurs ont admis que plus d’informations devront être présentées. Mercredi, des sessions portant sur le bien être communautaire et sur les impacts sociaux du PGM dans les communautés avaient lieu. En raison de la tombée du journal, L’Aquilon n’a pas pu y assister.
Les couleurs du Canada
Parlant au nom « du Canada », les représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord (MAINC) ont rapidement affiché leurs couleurs. « Nous considérons qu’assez d’informations ont été présentées », expliquait déjà lundi, Marie Adams, du MAINC, lors d’une session portant sur la faune, les poissons, les mammifères marins et leurs habitats.
Mardi, Ricki Hurst, du MAINC lui aussi, a annoncé que « le Canada [était] prêt à passer à la prochaine étape ». Il suggère que des conférences techniques aient lieu le plus tôt possible pour discuter de certains points spécifiques, pour ensuite pouvoir passer aux audiences publiques. Ces conférences ne seraient pas ouvertes au publique et impliqueraient un nombre restreint de parties, a-t-il précisé. « Notre intention n’est pas de ralentir le processus », a insisté le représentant du Canada.
Cette déclaration a fait bondir de son siège , Murray Sibbeston, un conseiller environnemental de l’Alliance Deh Gah, qui représente les intérêts des Premières nations du Deh Cho. Le Deh Cho croit que plus d’informations devront être fournies et que les séances de cette semaine l’ont clairement démontré. « Sauf le respect du représentant du Canada, a lancé Sibbeston, nous ne partageons pas cet opinion . » Il a indiqué que le Deh Cho aimerait avoir accès aux informations privilégiées obtenus par AINC lors de séances privés avec Imperial, dont les représentants du ministère ont fait références à de nombreuses reprises. « Nous avons été tenus à l’écart depuis le début. AINC n’a pas partagé ses informations avec nous. Et maintenant ils viennent dire qu’ils sont prêts pour des conférences technique… Désolé, mais ça ne va pas », a indiqué Sibbeston. Son interventions a été accueillie par une salve d’applaudissements, probablement la seule de la semaine.
Le Deh Cho, dont l’Assemblée générale annuelle avait lieu ces mêmes jours, conteste la légitimité du processus d’examen du PGM devant les tribunaux canadiens. Le directeur de la recherche du Canadian Arctic Resources Committee, Kevin O’Reilly, également échevin à la municipalité de Yellowknife et intervenant du processus d’examen enregistré à titre individuel, a fait écho à la déclaration du Deh Cho. Selon lui, les conférences techniques n’ont pas besoin d’avoir lieu si tôt et devront être ouvertes à tous les intervenants.
Interprètes
Si une mention spéciale doit être décernée pour le travail effectué cette semaine, qu’il soit remis aux interprètes autochtones qui ont traduit simultanément les débats en inuvialuktun, en gwich’in, en esclave du Nord, en esclave du Sud et en déné tha.
On peut facilement supposer la difficulté de ce travail. Les débats portant généralement sur des considérations hautement techniques et étant, le plus souvent, truffés de jargon scientifique et d’acronymes tels que IBH, pour « Important Bird Habitat », vous l’aurez compris.
Notons au passage qu’aucune interprétation en français n’était proposée pour cette conférence qui relève d’une compétence fédérale. « Nous n’avons su que lundi dernier que nous devions fournir le service d’interprète », s’est excusée Annette Bourgeois du Secrétariat du projet de gaz du Nord. Il semble que le journaliste de L’Aquilon était le seul à avoir indiqué un intérêt pour ce service. « Aucun intervenant n’en a fait la demande », a déclaré Bourgeois.
En tout et partout, les membres de la Commission d’examen conjoint, à qui revient la décision exclusive de décider si, oui ou non, assez d’information a été fournie, auront quitté cette conférence avec plusieurs centaines de nouvelles pages de documentation à analyser. Ces documents ainsi que le verbatim de la conférence se retrouveront, d’ici quelques jours, sur le registre publique du Secrétariat du projet de gaz du Nord (www.ngps.nt.ca/registry_f.asp).
Au moment de mettre sous presse, la décision de la Commission était toujours inconnue. Les sept panélistes qui la composent se refusent à tout commentaire.