La gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, n’a pas trouvé qu’un cadavre au parc Nahanni; elle a aussi trouvé une cause. La chef d’état canadienne est d’accord avec le projet d’agrandissement du parc national.
« En traversant [le parc Nahanni] je me suis dit que c’était une richesse extraordinaire et qu’il ne suffisait pas d’en défendre une portion », a-t-elle déclaré alors qu’elle dressait le bilan de sa tournée du solstice aux Territoires du Nord-Ouest.
Le projet d’agrandissement, promu par les Premières nations du Deh Cho et des organisations environnementalistes canadiennes, vise à septupler la taille de l’aire protégée, la faisant passer de 5 000 à 35 000 kilomètres carrés.
En ce moment, le parc établi en 1976 correspond au pourtour d’une section de la rivière Nahanni. L’agrandissement verrait la protection s’étendre aux terres qui entourent la rivière en entier ainsi que celles de chacun de ses affluents.
Pour visiter le Parc, la gouverneure générale était accompagnée du chef des Deh Cho, Herb Norwegian, lui-même un défenseur passionné de l’agrandissement. En 2005, à l’invitation de la Société nationale pour la nature et les parcs, Norwegian a prononcé des conférences dans la plupart des grandes villes canadiennes, dans lesquelles il soulignait l’urgence d’étendre la superficie de l’aire protégée.
Les témoignages du chef déné et ceux des employés du parc qui les escortaient ont su convaincre la résidente de Rideau Hall de la nécessité de protéger l’ensemble du bassin versant, mais c’est d’abord la férocité suave de l’endroit qui l’a charmée.
« Il est important de développer un lien presque charnel, un lien physique avec un espace pour bien le comprendre, explique Michaëlle Jean. Et l’opportunité que nous avons eue de pénétrer dans ce bassin naturel, d’en faire l’expérience, d’éprouver sa beauté, d’éprouver son immensité et sa richesse, c’est forcément quelque chose qui nous force à vouloir le protéger dans son entièreté. »
« J’ai pourtant beaucoup voyagé, et j’ai rarement vu un lieu d’une telle beauté et aussi saisissant », ajoute-t-elle.
L’époux de la gouverneure générale est aussi convaincu du bien fondé de l’agrandissement du parc Nahanni. « Ce qu’est le parc aujourd’hui, c’est le résultat d’une première victoire, renchérit Jean-Daniel Lafond. Mais maintenant je crois que nous en savons davantage sur les écosystèmes, sur l’écologie et la fragilité des choses. Et ce n’est pas uniquement parce que je suis un amoureux de la nature que je souhaite un plus grand parc; mais c’est bien par rationalisme écologique que je sais que l’agrandissement est nécessaire. Si nous voulons que le Parc demeure tel qu’il est présentement, nous devons l’agrandir. »
Si la protection de l’ensemble du bassin versant de la Nahanni offrirait une protection plus importante au site où, selon le mythe déné, se trouve la maison du géant Yamoria créateur du monde, elle mettrait également fin au projet minier Prairie Creek. Ce projet piloté par la société vancouvéroise Canadian Zinc consiste en l’établissement d’une mine de plomb, de zinc et d’argent qui serait située à une quarantaine de kilomètres en amont du parc national. Des forages préliminaires sont déjà en cours. Depuis juin, la mine emploie une quarantaine de travailleurs dans la région du Deh Cho.
Parc Canada doit d’ailleurs tenir des audiences publiques sur l’agrandissement du parc Nahanni, ces prochaines semaines. Du 4 au 10 juillet, des rencontres auront lieu dans les communautés deh cho de Nahanni Butte, Fort Simpson, Fort Liard et Wrigley. Le 12 juillet, Parc Canada sera à Yellowknife pour entendre les citoyens de la capitale, à la salle Northern United Place.
Désigné site patrimonial mondial de l’UNESCO, le parc national Nahanni est célèbre pour ses canyons, ses glaciers, ses grizzlys et son absence manifeste de présence humaine. Ce n’est pas la première fois que ses appâts farouches conquièrent une personnalité publique canadienne. C’est après avoir franchi la rivière en canot que l’ex-premier ministre Pierre Elliott Trudeau a été persuadé de la nécessité d’en faire un parc national. Plus récemmment, son fils, Justin Trudeau, est devenu le porte-parole officiel du projet d’agrandissement, lui aussi après avoir bravé les remous de la rivière sauvage.
Pour l’anecdote, signalons que la gouverneure générale n’a non seulement pu apprécier les charmes du parc national, mais aussi sa dangerosité. Au cours de la visite, l’avion qui transportait la représentante de la reine d’Angleterre au Canada a dû dévier sa trajectoire pour prendre part à la recherche d’un canoteur porté disparu sur la puissante voie d’eau.
C’est finalement l’équipe de la gouverneure générale qui a repéré le corps sans vie de Michel John Boucher, un résident d’Ottawa, qui participait à une expédition sur la rivière avec cinq autres personnes. Boucher est la quatrième personne à périr dans les eaux de la Nahanni depuis l’ouverture du parc national.