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le Vendredi 27 octobre 2006 0:00 Environnement

Payant, payant

Payant, payant
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Le Projet gazier du Mackenzie rapportera entre 17 et 67 milliards de dollars à ses promoteurs. C’est du moins l’estimation à laquelle arrive une étude microéconomique portant sur la rentabilité du projet de gazoduc publiée la semaine dernière par la firme vancouvéroise Pacific Analytics.

Selon l’étude commandée par la coalition de groupes d’intérêts nordiques Alternatives North, sous le régime de taxation présentement en vigueur, les compagnies gazières derrière le projet peuvent espérer un retour sur leur investissement de 36 %.

« C’est un taux très élevé », soupèse l’auteur de l’étude, Jim Johnson. Selon lui un retour sur l’investissement de 15 % est généralement vu comme satisfaisant dans le secteur pétrolier et gazier. « Pour vous faire une idée, poursuit l’analyste, pensez à vos placements. Quand vous et moi investissons en bourse, nous sommes généralement contents si nous arrivons à encaisser un gain de 8 %. Eh bien, dans l’industrie pétrolière il est coutumier de faire des gains de 10, 15, voire 20 %. Mais 36 % c’est énorme. »

Pour arriver à ces résultats, Johnson a créé un modèle économique qui tient compte de différents aspects du projet tels que les coûts de construction, les salaires, le régime de taxation et le prix du gaz bien sûr. Pour éprouver sa grille de calculs, il a ensuite utilisé les données que les promoteurs ont fournies eux-mêmes dans leur soumission à l’Office national de l’énergie. Le scénario dans lequel les promoteurs encaissent un retour sur l’investissement de 36 % correspond à l’exploitation des trois puits initiaux du projet échelonnée sur 38 ans.

Une autre projection a aussi été faite pour calculer la rentabilité du projet en supposant que d’autres puits soient exploités dans la mer de Beaufort et dans la région de Colville Lake. Cela prolongerait la vie du pipeline jusqu’en 2055. Dans cette éventualité, les profits nets des promoteurs augmentent, mais le retour sur l’investissement est un peu plus faible (30 %). « Les autres puits comportent davantage de risque et nécessitent plus de travaux d’exploration », explique Johnson. Cette analyse démontre par ailleurs que, à eux seuls, les trois puits initiaux suffisent amplement à recouvrer l’investissement des promoteurs. L’hypothèse défendue par certains selon laquelle il faudra forcément construire de nouveaux puits pour rentabiliser l’entreprise serait donc erronée. « Les promoteurs pourraient se contenter des trois puits initiaux et encore faire d’excellentes affaires », affirme l’analyste.

Le modèle suppose que les coûts associés au projet sont les mêmes que les estimations décrites par Imperial Oil en 2004. Or, les promoteurs affirment depuis plusieurs mois que ces chiffres ne reflètent plus la réalité étant donné l’augmentation sensible des coûts de construction.

« Ils ont raison. Les coûts ont vraiment augmenté », convient Johnson. L’analyste a donc repris ses calculs (à partir du scénario de plein développement jusqu’en 2055) en supposant une augmentation de 30 % de tous les coûts. « Et même là le projet demeure très viable économiquement », constate-t-il. En augmentant les coûts du tiers, Imperial Oil et les autres promoteurs peuvent quand même compter sur un retour d’investissement de 23 à 30 %.

Par ailleurs, le modèle de base suppose que le prix du gaz demeure inchangé durant toute la vie du projet. Pour quiconque ayant payé une facture de chauffage récemment, cette prémisse semble relever davantage de l’ésotérisme que de la science économique. C’est pourquoi Johnson a testé son modèle en faisant augmenter progressivement les prix. Il conclut qu’à chaque fois que le prix du gaz augmentera de 10 %, le retour sur l’investissement augmentera à son tour de 2 ou 3 %.

Royautés

Le modèle présenté par Pacific Analytics fournit également des estimations des royautés que les gouvernements fédéral et territorial engrangera sur les profits des pétrolières. Le calcul repose sur le régime de redevances présentement en vigueur dans le Nord.Grosso modo, le taux actuel perçu par le fédéral est d’à peu près 5 % de la valeur de la production.

Dans l’éventualité que le projet se limite aux trois puits initiaux, le fédéral empocherait en moyenne 309 millions de dollars par année de vie du projet et le territorial 81 millions, pour un total de 390 millions de dollars par an.

Ce n’est pas énorme. À titre de comparatif, en 2004, les seules taxes sur l’alcool, le tabac et l’essence ont rapporté ensemble 45 millions de dollars au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. On pourrait aussi dire qu’une année de revenus gaziers permettrait de faire construire à peu près 700 unités de logement social dans les communautés éloignées ou encore d’acheter un brise-glace à tous les deux ans pour patrouiller l’océan Arctique.

En supposant que tout le potentiel gazier de la région soit exploité, Pacific Analytics estime alors que les royautés s’élèveraient en moyenne à 824 millions de dollars par an pour le fédéral et 175 millions pour le territorial. Soit à peu près un milliard de dollars au total.

« Il y a de la place pour un régime de royautés plus élevé sans compromettre la viabilité économique du projet », pense Johnson. Il propose d’ailleurs de s’inspirer du modèle en vigueur en Norvège qui, selon lui, est plus payant pour les contribuables.

En Norvège, l’État investit davantage dans la construction des projets gaziers, mais exige en revanche des redevances plus copieuses aux compagnies. Le modèle Norvégien, soutient Johnson, ne fait pas fuir les investisseurs. De fait, la Norvège est aujourd’hui le troisième plus important exportateur de gaz naturel au monde. « Si ça marche là-bas, je ne verrais pas pourquoi ça serait une nuisance ici », dit-il.

D’après le modèle élaboré par Pacific Analytics, si le Canada adoptait le régime norvégien, les royautés perçues sur la production du Projet gazier du Mackenzie augmenteraient de plus de 80 %, alors que le retour sur l’investissement des promoteurs demeurerait au-dessus de la barre des 20 %.

Le régime canadien est trop généreux, conclu Johnson. « Le gouvernement fédéral aime décrire son régime comme étant ‘’compétitif ‘’. En fait il s’agit surtout d’un euphémisme pour dire très très bas. »

Réactions

Pour Alternatives North, qui a commandé l’étude, la première conclusion à tirer de cette analyse est qu’il est inutile de subventionner le Projet gazier du Mackenzie, car les promoteurs ont amplement les moyens de payer leurs factures sans que l’État les aide. « Les promoteurs ont à plusieurs reprises répété que les marges de profits de ce projet sont ‘’marginales‘’. Cette étude démontre le contraire », affirme Kevin O’reilly d’Alternatives North, dans un communiqué.

Le principal promoteur du projet, Imperial Oil, n’a pour sa part pas retourné les appels de L’Aquilon. D’autres médias cependant ont rapporté les propos d’un porte-parole de la société-fille d’Exxon Mobil qui maintient que le rendement anticipé du Projet gazier du Mackenzie n’est pas aussi élevé.