À la mi-janvier 2007, le vice président à l’exécution des programmes de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, Scott Streiner, se trouvait à Anchorage en Alaska où il s’adressait à un club d’affaires qu’on appel l’Alaska Support Industry Alliance. Entre deux présentations des vice-présidents de Chevron et de ConnocoPhillips, Streiner a expliqué à l’Alliance que le Projet Gazier du Mackenzie est une bonne pratique pour tester l’efficacité du régime réglementaire canadien dans le Grand Nord et, selon ce que rapporte l’Alaska Journal of Commerce, que « l’approbation finale du pipeline du Mackenzie devrait survenir plus tard cette année ».
Voilà qui a de quoi rassurer les Américains qui jonglent depuis plusieurs années avec l’idée de bâtir un gazoduc qui traverserait l’Alaska et une partie du Yukon, un projet qui nécessiterait des autorisations de parts et d’autres des frontières. Or, le régime nordique canadien a la réputation d’être atrocement complexe et de faire fuir les investisseurs. L’approbation du Projet gazier du Mackenzie enverrait donc un signal clair : il y a moyen de se dépêtrer dans ce sac de nœuds.
Concert d’indignation
Avec quelque 14 agences différentes chargées de près ou de loin d’évaluer la pertinence du Projet gazier du Mackenzie, il n’est pas surprenant que certains trouvent le régime un brin excessif. La vérificatrice générale du Canada, Sheila Fraser, est de ce nombre. Dans son rapport annuel 2004-2005, la vérificatrice jugeait que le régime, dont une partie importante est du ressort du tentaculaire ministère des Affaires indiennes et du Nord, gêne le développement économique. « L’incertitude, l’instabilité et l’inefficacité, écrivait alors Sheila Fraser, limitent à la fois les investissements et les occasions d’affaires. »
C’est aussi l’avis du premier ministre du Canada, Stephen Harper. Lors de sa visite à Yellowknife, en août 2006, il n’a pas hésité à se demander « Pourquoi […] faut-il tant de temps pour faire approuver des projets d’exploitation des ressources dans le Nord » ? Et il a poursuivi son questionnement : « On me dit qu’il faut environ trois ans pour faire approuver une mine au Nunavut comparativement à environ neuf mois au Québec. Nous devons aussi nous demander pourquoi, 30 ans après qu’il ait été proposé, nous ne savons toujours pas quand le projet de gazoduc de la vallée du Mackenzie sera approuvé et même s’il le sera. »
Le ministre des Affaires indiennes, Jim Prentice, et le ministre territorial de l’Industrie, Brendan Bell, sont eux aussi bien connus pour avoir souvent raillé le régime réglementaire nordique.
L’industrie pétrolière et gazière, bien sûr, est au premier rang des supporters d’une réforme du régime. Sur son site Web, l’Association canadienne des producteurs de pétrole (CAPP), le principal lobby pétrolier Canada, consacre une pleine page aux « enjeux » qui affligent le déploiement de leur industrie aux Territoires du Nord-Ouest et « l’efficacité réglementaire » trône au sommet de cette liste. « La CAPP, peut-on y lire, travaille avec les régulateurs locaux, provinciaux [sic] et fédéraux afin d’encourager un environnement réglementaire efficace ». Un environnement qui, faut-il comprendre, n’existe pas encore.
Devant pareil concert d’indignation à l’égard du trajet tortueux que les projets pétroliers et gaziers doivent emprunter pour obtenir le feu vert, on ne s’étonnera pas d’apprendre que l’actuel président de l’Office national de l’énergie (ONÉ), la principale agence émettrice de permis de pipeline au pays, ait lui-même récemment enfoncé la porte déjà ouverte de la réforme réglementaire. Lors d’une conférence donnée à Kelowna le 30 avril dernier, le président de l’ONÉ, Ken Vollman, a présenté un plan de match pour répondre à la « nécessité » de « simplifier » le régime réglementaire dans ses zones frontalières, notamment le Nord.
« Quand le promoteur d’un projet exprime des préoccupations liées à la réglementation, elles touchent généralement la panoplie d’examens à subir et d’autorisations à obtenir avant de pouvoir commencer à construire », a noté Vollman.. Selon lui, les évaluations environnementales devraient tendre vers une approche « d’examen unique » et comprendre des échéanciers fixes pour garantir une durée déterminée à l’évaluation.
Il importe aussi, pense-t-il, de clarifier dès le départ ce qui est pertinent à l’évaluation et ce qui ne l’est pas. « Une audience sur un projet déclenche souvent un débat sur de grands enjeux de politique publique. Cela s’explique par le fait que l’audience peut constituer la seule occasion pour le public de débattre de ces questions, a-t-il expliqué. Cependant, de tels débats peuvent prendre du temps et décourager toutes les parties lorsque les solutions ne relèvent pas de la compétence de l’organisme de réglementation. Clarifier ce dont il faut parler et ce qui ne doit pas être abordé dans l’évaluation environnementale devrait être l’une des premières étapes. »
Pas de changements maintenant
Quoi qu’il en soit, une voie express pour l’approbation des projets pétroliers et gaziers dans le Nord n’est pas à prévoir, du moins pas maintenant. « Ce n’est pas quelque chose que nous envisageons dans l’immédiat », affirme le chef de secteur de l’ONÉ pour la planification, la politique et la coordination, Glenn Booth.
Si l’ONÉ favorise une simplification du régime, l’état actuel des lois ne permettrait pas une réforme totale du régime. « Une approche à guichet unique serait l’idéal, estime Glenn Booth, mais je ne pense pas que nous puissions atteindre cela. »
« Au mieux », spécule-t-il, un régime en deux phases pourrait être élaboré. Une première instance qui déterminerait si le projet est souhaitable du point de vue de l’intérêt public, ensuite des consultations publiques pourraient avoir lieu pour déterminer sous qu’elles conditions le projet sera réalisé.
Les efforts de traitement accéléré qui sont présentement à l’essai à l’ONÉ, explique le cadre chef de secteur, se concentrent dans la région des prairies où le régime est différent et la nature des projets moins grandiose que le gazoduc du Mackenzie, par exemple. Une approbation accélérée peut être envisagée pour « de petits projets de nature répétitive », comme l’ajout d’un tronçon de pipeline dans une zone où d’autres projets de même nature on déjà été approuvés dans le passé.
Dans l’éventualité que le pipeline du Mackenzie aille de l’avant, Glenn Booth, n’écarte pas que ce genre de voie de contournement puisse être empruntée par des projets subséquents à la construction du corridor central. « C’est effectivement quelque chose qui pourrait éventuellement s’appliquer à votre situation », concède-t-il.
Mais, même plus expéditif, le régime devra être centré sur l’intérêt public, tranche-t-il. « Notre rôle, c’est d’exprimer très clairement [à l’industrie] qu’elles sont nos attentes. Ainsi il y a davantage de certitudes pour les investisseurs. […] Mais il ne s’agit certainement pas de contourner la Loi. »
