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le Vendredi 9 novembre 2007 0:00 Environnement

Sachez chasser…au féminin

Sachez chasser…au féminin
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Il est révolu le temps où les hommes partaient en voyage de chasse, seuls, pendant que les femmes restaient au foyer. À bien y penser, peut-être que révolu est un bien grand mot, mais en tout cas, au Yukon, terre de toutes les possibilités à bien des égards, c’est différent.

Les femmes ont été à travers les époques et les différentes parties du monde des cueilleuses. Pourtant, beaucoup de femmes deviennent des chasseuses et des pêcheuses.

Pourquoi? C’est le côté pragmatique de la chose qui ressort dans un premier temps : avoir de la viande à mettre sur la table tout au long de l’année. Même si elle a des histoires de chasse à raconter, comme la fois où elle a eu un œil au beurre noir à cause du recul du télescope lorsqu’elle a tiré ou la fois où elles sont allées chasser en vélo sur la route de Hart River, Karine Bélanger spécifie bien que pour elle, « ce ne sont pas les péripéties qui sont importantes. L’important, c’est rapporter de la viande. »

Valérie Théorêt est allée à la chasse pour la première fois cet automne, et bien que le voyage n’ait pas été fructueux, elle est vraiment enthousiaste. « Au Québec, je n’avais jamais eu de contacts avec la chasse, sauf avec ceux qui exhibaient les animaux tués comme des trophées de chasse. Depuis que je suis ici, j’ai rencontré beaucoup de gens qui chassent pour se nourrir, et utilisent vraiment tout l’animal. J’ai fait le cours Yukon Outdoor Woman Program et ça m’a montré que c’était possible pour moi aussi de chasser. C’est hyper accessible ici et plusieurs veulent partager leur savoir. »

Nansi Cunningham, instructrice de ce cours destiné aux femmes qui veulent en apprendre plus sur la chasse, la pêche et le maniement des armes à feu, dit et redit aux femmes qui prennent le cours avec elle qu’il ne faut pas se presser pour tuer un animal. « Il faut que la personne se sente prête. On le sent quand le bon moment arrive. Pour ma part, ça a pris plusieurs années – 10 ans – avant que je tire pour la première fois. À cet instant, je savais avec mon cœur, mon âme et mes valeurs que j’étais prête à tirer. Peut-être qu’en général les hommes n’ont pas autant d’appréhension que les femmes. Beaucoup ont eu leur père, un oncle, leur grand-père, qui chassaient autour d’eux. »

La majorité des femmes qui décide de suivre le programme de trois jours le fait, selon Mme Cunningham, dans le but de se sentir plus indépendante et compétente lorsqu’elle chasse et pêche.

Une modestie qui cache bien des histoires

Dans la mythologie grecque, la déesse Diane, fière, indépendante et hautaine, est chasseresse et amante des bois et des montagnes.

Dans la réalité, c’est tout autre. Oui pour le plaisir de se retrouver en nature, mais il y a une grande modestie et une pudeur qui entourent la chasse au féminin. Les femmes interviewées disent toutes, d’entrée de jeu, qu’elles n’ont pas grand-chose à raconter ou qu’elles ne sont pas très douées. Et pourtant…

« Nous étions loin –je ne peux pas te dire où – et après plusieurs jours, nous n’avions pas vu d’orignaux, même si on les appelait. En escaladant une montagne pour aller à la rencontre des caribous, nous avons vu dans la vallée deux gros mâles orignaux qui s’appelaient mutuellement. Ils étaient pleins de leurs hormones de rut. C’était magnifique! Ils se sont battus et après environ, oh, un bon quart d’heure, un des deux est ressorti vainqueur et en s’éloignant, il est venu vers nous. Mais ce n’était pas un coup absolument sûr, alors j’ai attendu que le second soit plus près de nous et j’ai tiré. Avec le temps, j’ai appris à connaître le comportement de l’animal, son habitat, et le résultat est que je deviens ainsi une meilleure chasseuse », raconte l’instructrice.

Karine Bélanger, elle, chasse depuis quelques années, mais trouve qu’elle manque de pratique. « Je n’ai pas complètement confiance en mon tir, je veux donc être assez rapprochée de l’animal, qui doit être immobile. C’est ma façon de penser pour qu’il n’arrive rien de malheureux. »

Wanita Sidney, de la Première nation Tlingit de Teslin, était toute gênée de raconter ses histoires, disant qu’elle se trouvait bien jeune et inexpérimentée, bien qu’elle chasse depuis plus de 10 ans. Elle a mis l’accent sur l’importance de transmettre cet héritage de la chasse aux jeunes.

« Chasser est un mode de vie. Nous devons le passer aux jeunes générations. C’est un art qui est en train de se perdre, pour lequel l’homme et la femme forment une équipe. La femme chassera généralement plus le petit gibier, mais moi, par exemple, je suis toujours allée chasser l’orignal avec mon mari. »

L’importance de l’éthique

Les sœurs Bélanger ont développé leur sens éthique au contact de ceux avec qui elles chassent, ainsi qu’avec les traditions ancestrales qui entourent la chasse au Yukon, et qui viennent des Premières nations. Édith se rappelle qu’en 2003, lors de son premier voyage de chasse, « la première balle que j’ai tirée a tué le caribou. Avant de commencer à le dépouiller, je l’ai remercié pour sa viande. Nous sommes chanceux de pouvoir manger du caribou. Nous nous devons de respecter une certaine éthique. »

Personnellement, elle a fait le choix de ne pas tuer de femelles caribous, même si la loi le permet. Pour sa part, lorsque Karine tire un caribou, elle prend un moment et lui ferme les paupières en lui disant qu’il sera bien utilisé. « Les femmes, mais aussi les hommes, avec qui je décide de chasser sont humbles devant le fait de pouvoir être dans le bois en train de chasser, et cultivent un immense respect pour l’animal et son environnement », conclut Nansi Cunningham.