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le Vendredi 28 mars 2008 0:00 Environnement

Journal de chasse: Caribous sans restriction

Journal de chasse: Caribous sans restriction
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Cheminer, camper, chasser, débiter et revenir. Cinq actions qui peuvent récapituler une chasse aux caribous fructueuse. Cinq verbes qui constituent l’essence même de toute partie de chasse, si l’on oublie la camaraderie principalement masculine et la découverte d’habitats naturels. Cinq actes qui prennent des proportions bien différentes selon le permis de chasse issue par le gouvernement des TNO. D’un côté, le permis de chasse octroyé à un résident des TNO ou un non-résident qui permet d’obtenir deux étiquettes pour tuer deux caribous mâles des toundras par année. De l’autre, le titulaire d’un permis général de chasse qui ne subit aucune restriction sur le sexe et le nombre de bêtes qu’il peut prélever. L’absence de limite peut vite être perçue comme un abus. De la consternation peut découler de ces prélèvements importants perpétrés par exemple lors d’une longue fin de semaine où ces chasseurs sans restrictions ont le temps de s’installer, de tuer et de préparer leur viande sauvage qui les nourrira eux ainsi que leurs proches tout au long de l’année.

Cheminer

Avancer sur la route menant à la mine d’or Colomac et à la communauté de Wekweti, pour enfin décider de planter campement sur le portage précédant Indin Lake situé à 270 Km au Nord-Ouest de Yellowknife. Sur cette longue route d’hiver, l’objectif est de rencontrer les traces d’un troupeau en transhumance. Le troupeau de caribous de l’Ouest Bathurst migre depuis plusieurs semaines vers le Nord et les pistes fraîches devant le véhicule démontrent que les renseignements récoltés en ville n’étaient pas du bidon. Le long des ponts de glace, quelques tas de viscères témoignent du passage d’autres chasseurs et l’excitation d’observer le premier animal commence à pointer. Pourtant alors que celui-ci regarde le chasseur dans son camion, il poursuit nonchalamment sa progression dans la neige comme s’il connaissait cette règle primordiale de la chasse dans le Nord : Établir son campement avant de tirer.

Camper

La température extérieure est la principale raison d’installer un abri comportant un poêle à bois et des sacs de couchage adaptés jusqu’à -40°. La faim et la fatigue viennent après. Un espace dégagé donne plus d’espace au campement, mais sans arbres autour et avec le sol gelé il n’est pas facile de bien arrimer la traditionnelle tente de prospecteur. Les taches sont réparties entre la recherche de bois sec pour réchauffer la tente et la préparation des lits. Des branchages au sol, des bâches et des matelas autogonflants servent d’isolant contre le sol enneigé. Plus tard quand les premières bêtes seront dépiautées, leurs peaux ajouteront confort et efficacité contre le froid. De toute façon, les peaux des caribous ne sont pas exploitables dues à la présence de larves d’hypodermes qui parasitent ces cervidés. Les patates et la viande du premier repas sont un délice après cette journée de route et d’installation. La pleine lune de l’équinoxe s’est levée sur une nuit glaciale et une personne se charge d’alimenter le poêle durant la courte nuit.

Chasser

Un bon campement se trouve proche du lieu de chasse pour ensuite faciliter le dépeçage, mais l’avantage de ne faire que quelques kilomètres pour apercevoir le premier troupeau n’est pas superflu non plus. Les motoneiges réchauffées et les carabines chargées, la chasse peut commencer dès l’aube. La neige sur le lac est profonde et la conduite est technique autant qu’agréable. Plusieurs caribous sont en vue, mais la présence remarquée de loups dans les parages ainsi que les chasses précédentes peut expliquer le fait que le troupeau ne soit pas tranquille et qu’à peine arrivé à portée de tir, il se soit déjà enfui dans les fourrés en bordure de lac. La tendance habituelle veut qu’après une délicate avancée en motoneige, les caribous n’aient pas nécessairement détalé, et que le chasseur prenne ensuite le temps de s’agenouiller et de stabiliser son arme en s’appuyant sur sa machine. Généralement le premier tir devrait abattre le meneur de troupeaux et arrêter l’élan de fuite amorcé par ce dernier. Le chasseur peut ensuite choisir à sa guise les animaux les mieux portants qui arborent une fourrure claire et peu contrastée. Dans un autre cas de figure, c’est la course et le chasseur poursuit les cervidés et tente de les diriger vers un endroit sécuritaire (responsabilité des balles perdues) pour les abattre. Cette poursuite est dangereuse sur un lac qui comporte de nombreux indices de minces couches de glace. Lorsque l’on a appuyé sur la gâchette, la tête de l’animal explose, l’écho de la détonation se poursuit, le caribou flanche. « C’est maintenant que le travail commence», s’exclament alors les chasseurs.

Débiter

Attachés à l’arrière des motoneiges, les caribous sont traînés jusqu’au campement. En début d’après-midi, le soleil donne et une douzaine de gibiers sont entassés, prêts à se faire découper en morceaux. Un couteau bien tranchant dans une main nue, le chasseur boucher dépèce un après l’autre les animaux en suivant une séquence d’étapes qui change peu. D’abord la tête qui est sectionnée au niveau de la partie supérieure du cou. L’animal est dépiauté par une première incision sur un des genoux, le couteau file le long de l’intérieur des pattes et au centre de l’abdomen. Une fois amorcée par le couteau, la dépouille de la peau se fait simplement en glissant les mains entre les tissus musculaires et la fourrure. De plonger ses mains froides contre cette masse encore chaude est la seule récompense à travailler à mains nues sous de telles températures. La découpe des membres antérieurs et postérieurs précède l’extraction des filets, le long de l’épine dorsale du caribou. Puis vient la délicate incision de la partie abdominale qui s’est gonflée d’air depuis la décapitation : couper la fine membrane sans percer les viscères et risquer de salir la viande d’aliments digérés. L’opération réussie c’est les côtes qui sont sciées le long de la colonne, le bréchet est maintenant libre lui aussi. Le cœur, les reins et le foie récupérés, il ne reste que les fœtus des femelles à prélever, car ils demeurent une délicatesse pour les aînés des Territoires.

Revenir

Une, deux ou trois journées peuvent s’écouler à ce rythme. Les découpes sont déposées sur la neige fraîche pour qu’elles gèlent individuellement. Elles deviennent la proie des martres et de certains petits oiseaux en quête de protéines. Le retour étant sonné, il faut organiser le transport de la viande et le rangement du matériel. Pièce par pièce, le camion se remplit et le campement se plie. Lorsque tout est rangé et que les chasseurs reprennent la route, il ne reste qu’un monticule gelé formé d’entrailles, de peaux et de sang qui marque les abords du bivouac. Une fois de plus la lune se lève pour accompagner le retour à la maison qui dure toute la nuit. Le lendemain sera rempli de visites amicales et familiales pour redistribuer la viande prélevée. En humble titulaire d’un permis général de chasse, le chasseur gardera ce qui n’a pas été sélectionné pour alimenter sa réserve annuelle de viande sauvage.