Malgré les dangers soulignés dans le dernier rapport du GIEC, rendu public le 25 septembre dernier, plusieurs communautés de l’Arctique misent sur l’adaptation davantage que sur la fuite face aux changements climatiques.
Intitulé L’Océan et la cryosphère dans un climat changeant, le volumineux rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat GIEC) souligne avec des fragrances d’apocalypse les périls qui guettent les communautés arctiques.
Le rapport démontre que le niveau des océans, avec son érosion côtière inhérente, s’élève à une vitesse qui tend à s’accélérer, et qu’il continuera à s’élever durant plusieurs siècles.
« On s’attend, notent les auteurs du rapport, à ce que le réchauffement de l’océan, l’acidification et la désoxygénation, la perte des glaciers et de la banquise, et la dégradation du pergélisol soient irréversibles à l’échelle temporelle des sociétés et des écosystèmes. »
On anticipe en outre que les feux de forêt croiîtront de manière significative dans la majeure partie de la toundra et dans certaines régions boréales.
Les gens vivant dans l’Arctique ou dans les régions de haute montagne sont les plus exposés aux changements.
Cinq petites communautés autochtones arctiques, dont Tuktoyaktuk, sont analysées dans le rapport, toutes situées sur des côtes exposées à l’élévation de l’eau et à l’érosion, et composées de sédiments riches en glace.
À Tuktoyaktuk, plusieurs bâtiments ont déjà été relocalisés, selon le rapport. Là comme à Shishmaref et Kivalina, la relocalisation globale de la communauté a fait l’objet de discussionsété discutée de manière plus ou moins informelles, mais l’attachement à ces sites vulnérables est forte.
La voie de l’adaptation
« Le changement climatique s’intensifie en Arctique, corrobore Kendyce Cockney, assistante -gestionnaire de projet adjointe à la Société de développement communautaire de Tuktoyaktuk. Nous le voyons à tous les jours et les systèmes de surveillance climatique le voient aussi. (…) Nous avons une pointe de terre qui s’érode comme jamais auparavant. »
Trois maisons de cette pointe doivent être relocalisées cette année ou l’an prochain.
En attendant, la communauté de Tuktoyaktuk, dont le nom n’a jamais été aussi souvent prononcé, multiplie les démarches d’adaptation.
Commencé en 2017, le projet de résilience au changement climatique passe par la captation d’échantillons de pergélisol, d’eau et de glace et se poursuivra jusqu’en 2020.
Un autre projet triennal, approuvé en mai, est basé sur une collaboration avec une firme de Terre-Neuve-et-Labrador, SmartIce, qui a remporté en 2016 le prix Inspiration Arctique et, plus tôt cette année, un prix d’innovation du gouverneur général.
La spécialité de SmartIce est de combiner nouvelles technologies et savoir traditionnel inuit. Des membres des communautés sont formés pour utiliser des capteurs qui mesurent l’épaisseur de la glace et permettent de vérifier si les passages sont sécuritaires pour la chasse et autres activités traditionnelles.
« Nous espérons commencer la formation en janvier, précise Mme Cockney., et ensuite, nous devrions commencer à surveiller la banquise à toutes les semaines. »
Quatre jeunes et tout autant d’adultes, dont certains ayant été impliqués dans le projet sur la résilience, devraient participer à la formation.
Technologie et savoir traditionnel
Le docteur Trevor Bell, fondateur de SmartIce, observe que le mot « traditionnel » ne doit pas être confondu avec « passé ».
« C’est du savoir vivant, fait-il valoir. Les Inuits vont encore sur la glace chaque jour, ils observent les changements et essaient de s’y adapter. Nous leur apportons la technologie sans laquelle, par exemple, ils ne pourraient peut-être pas voir que la glace s’amincit du dessous, à cause des courants plus forts et de l’eau plus chaude. […] Les communautés ne peuvent plus se servir des mêmes chemins sur la glace pour chasser puisqu’ils sont rendus trop dangereux. Ils choisissent des chemins alternatifs à l’aide de la technologie. »
Dans la même optique de valorisation du savoir local, Trevor Bell juge important que soit transmise aux jeunes la terminologie inuite de la glace, riche en référence au temps de l’année, aux précautions à prendre pour y voyager, etc.
« Nous voulons aider les jeunes à comprendre les changements climatiques, explique-t-il, et en même temps, qu’ils se rendent que leur savoir inuit peut se combiner avec la technologie pour s’adapter aux changements climatiques. »
La patrie
SmartIce travaille dans d’autres communautés de la Rrégion désignée des Inuvialuits, ainsi qu’à Terre-Neuve-et-Labrador et au Nunavut.
Son fondateur affirme que la résilience est encore possible malgré l’analyse alarmante du GIEC. « C’est le feedback ce que nous entendons que nous avons dans les communautés où nous opéronstravaillons », dit Trevor Bell, précisant ne pas parler en leur nom, et concédant que d’importantes érosions côtières, comme en Alaska, ont des impacts potentiels sur les localisations.
Mais il dit n’entendre jamais parler d’évacuation.
« C’est leur patrie, dit-il, c’est là qu’ils (les Inuits) vivent depuis longtemps. (…) Pour ce qui est des voyages sur la banquise, ils s’adaptent aux conditions, et, on peut l’espérer, ils seront toujours capables de s’adapter. »
À Tuktoyaktuk, explique le maire Merven Gruben, quelques maisons seront déplacées, et des infrastructures seront construites le long du rivage et un peu loin.
Mais une relocalisation?
« Il n’est pas question y a pas de relocalisation, martèle Merven Gruben. Tuk va toujours être là. Dans 100 ans ças, elle sera toujours là, plus grande que Yellowknife. »