On risque d’en entendre parler dans les coulisses de l’Assemblée générale annuelle de la Fédération Franco-TéNOise qui a lieu à Yellowknife, en fin de semaine. Le débat entre centre scolaire communautaire et centre communautaire tout court est un des sujets les plus bouillants en ce moment, dans la communauté francophone de la capitale.
Le problème est là : d’une part les organismes communautaires francophones ont grand besoin d’infrastructures à la mesure de leurs ambitions ; d’autre part l’école Allain St-Cyr ne répond plus aux besoins de la jeunesse et doit impérativement être agrandie.
Deux solutions sont envisagées. La première, incarnée par l’Association des parents ayants droit de Yellowknife (APADY), est de construire un centre scolaire communautaire, où une école spacieuse serait greffée à un centre communautaire qui réunirait « les forces vives de la communauté », selon l’expression consacrée. La seconde, défendue par l’Association franco-culturelle de Yellowknife (AFCY), serait de construire un centre communautaire qui comprendrait des espaces de bureaux pour les organismes francophones, une grande salle de conférence et les commodités afférentes. Le site de l’ancienne aréna Gerry-Murphy, sans doute le plus convoité en ville, est envisagé comme éventuel lieu de construction. Si ce scénario est choisi, il faudrait alors agrandir l’École Allain St-Cyr.
Deux visions
Le 9 novembre, la table de concertation de Yellowknife, qui regroupe les organismes francophones de la capitale – c’est-à-dire l’APADY, l’AFCY et la garderie Plein-Soleil – s’est réunie afin de discuter de ce dossier. Des représentants de la Fédération Franco-TéNOise (FFT), de la Commission scolaire francophone de division (CSFD) ainsi que du Centre de développement économique des TNO (CDÉTNO) étaient aussi présents à titre d’observateurs.
Le directeur général de la FFT, Léo-Paul Provencher, a fait une présentation sur les centres scolaires communautaires. En avril dernier, à l’initiative de l’APADY, lui et quatre autres membres de la communauté franco-ténoise ont visité quatre de ces centres en Saskatchewan et en Alberta.
Selon leurs observations, la formule scolaire communautaire offre plusieurs avantages. D’abord le coût pour les organismes est réduit parce que l’édifice appartient au gouvernement. Étant donné le caractère scolaire du projet, l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés oblige également le gouvernement fédéral à financer le projet. Ensuite, cela permet de créer une dynamique où l’enfant, « le cœur de la communauté », insiste-t-on, est mis en contact direct avec sa culture francophone. Enfin, et c’est sur ce point que M. Provencher a le plus discouru, le mariage du scolaire au communautaire permet d’obtenir des infrastructures qu’une école ou un centre communautaire seul ne pourrait pas avoir : un grand gymnase, une cafétéria, un amphithéâtre et toutes ces choses. L’ensemble des observations du groupe, dit Comité d’études sur les centres scolaires communautaires, peut être consulté dans un rapport publié le 29 septembre.
Le directeur du CDÉTNO, André Routhier, a pour sa part présenté l’option du centre communautaire. Ce projet, que ruminent les francos de Yellowknife depuis plus d’une décennie, vise à doter la communauté d’un édifice où seraient dispensés sous un même toit tous les services communautaires. À une certaine époque, sous le vocable de « guichet unique », l’idée incluait aussi les services gouvernementaux les plus sollicités par les francophones, mais cette option semble définitivement abandonnée. En plus de différentes commodités – un café Internet a été évoqué – le centre communautaire comprendrait aussi une grande salle de conférence moderne qui pourrait être louée afin de rentabiliser le bâtiment.
Les principales qualités de ce projet, a-t-on mentionné, est de pouvoir plus aisément se trouver une place « en ville » compte tenu qu’il prendrait moins d’espace qu’un centre scolaire communautaire, être viable économiquement étant donné la grande demande d’espaces locatifs et les besoins de Yellowknife en matière de salle de conférence et, enfin, de générer des opportunités d’affaires dont bénéficierait la communauté. La designer Diane Boudreault a présenté des ébauches de ce à quoi pourrait ressembler ce centre sur l’éventuel site « très reluqué », dit-elle, de l’ancienne aréna Gerry-Murphy.
Cette assemblée spéciale se voulait d’abord un lieu d’échange. Les deux parties ont convenu qu’elles désiraient, au fond, la même chose : répondre du mieux possible aux besoins d’infrastructures de la communauté. Cependant, elles ne s’entendaient pas encore sur la façon d’y arriver, même si elles sont toutes désireuses d’arriver à un compromis.
On a, en outre, pu connaître on ne peut plus clairement la position de la FFT sur le dossier. « La FFT appuie le projet de centre scolaire communautaire », a annoncé sans laisse r planer de doute le président, Fernand Denault.
Pression
Dans une entrevue accordée avant l’Assemblée spéciale de la table de concertation de Yellowknife, la présidente de l’APADY, Yvonne Careen, confiait à L’Aquilon son désir de faire évoluer le dossier le plus rapidement possible. Mentionnant qu’il était plus que temps que l’école Allain St-Cyr ait accès à de plus grands locaux et à des facilités équivalentes à ce que l’on retrouve dans les écoles anglophones, elle disait qu’elle se verrait obligée, à regret, d’abandonner le projet de centre scolaire communautaire advenant l’impossibilité d’obtenir l’assentiment de la communauté dans un délais raisonnable.
Lors de son assemblée générale annuelle, l’APADY avait voté une série de résolutions appuyant le projet de centre scolaire communautaire et demandant à la Commission scolaire de division de faire une requête en bonne et due forme au ministère de l’Éducation pour obtenir un agrandissement de l’école Allain St-Cyr qui comprendrait possiblement un volet communautaire. L’APADY avait aussi résolu d’entreprendre un recours judiciaire advenant que le gouvernement refuse ou ne réponde pas. Cette option tient toujours, affirme Yvonne Careen. Mais, ajoute-t-elle, « nous ne nous sommes pas encore fixé de délais, malgré qu’on s’impatiente ».
Aux dernières nouvelles, la CSFD avait bel et bien déposé une requête au ministère de l’Éducation, mais aucune réponse n’a encore été formulée. Il appert, en effet, que le ministère tente d’établir un Comité des installations scolaires de Yellowknife qui aurait pour mandat de doter la capitale d’un nouveau plan d’aménagement à long terme pour ses bâtiments et services scolaires, et qu’il ne souhaite pas prendre de décision sur le sort d’Allain St-Cyr avant que ce plan soit déterminé. Une première réunion de ce comité, sur lequel siège la CSFD, a eu lieu le 5 novembre. « Nous tentons d’expliquer [au ministère] que nos besoins sont immédiats et qu’ils ne dépendent pas des autres établissements scolaires », commente le directeur général de la CSFD, Gérard Lavigne.
Cette pression d’agir vite pour répondre aux besoins des enfants francophones, le président de l’AFCY, Martin Dubeau, dit la comprendre, mais ne la perçoit pas comme une raison pour agir impétueusement. « On nous dit qu’on aimerait bien que notre projet de centre communautaire fasse partie d’un centre scolaire communautaire, alors, en ce sens là, il y bel et bien une pression, a-t-il dit. Mais ce n’est pas une pression qui va nous empêcher de réfléchir et de prendre le temps qu’il faudra. […] Il y a des jeunes qui ont besoin d’une école, qui n’ont pas de gymnase et qui manquent de locaux. L’AFCY a un mandat qui lui a été confié par ses membres, mais il ne faut pas le voir avec des oeillères non plus. » Pour lui, il importe que le projet choisi soit le meilleur possible et qu’il ne faille pas le réviser quelques années après sa mise en chantier.
« Au moment où le projet de centre communautaire a été élaboré, conclu-t-il, on ne parlait pas vraiment de centre scolaire communautaire. Maintenant il y a cette option-là qui est proposée. Est-ce qu’un centre scolaire communautaire c’est aussi un centre communautaire ? C’est à cette question que nous devons répondre. »